Matt Reeck | Le Héros du jour

J’ai avalé mon stylo, puis mon imprimeur
J’ai avalé ma femme, puis mon bébé, un tout petit, joli bébé
Je me suis assis dans le bus, j’ai avalé le conducteur, puis les passagers
Je suis allé à la mairie de l’arrondissement
Personne ne m’aidait
J’ai avalé le bureau d’informations qui s’est appelé un « accueil » mais avec les gens comme ça, un accueil à quoi, de quoi, je te demande
Fâché par l’incompétence de la mairie, je suis allé à la piscine, une très grande, jolie piscine, où j’ai avalé l’eau de la piscine, mon maillot de bain, le maillot de bain de mon ami, puis mon ami, puis l’amie de mon ami
Si la police me cherche, tant pis, je vais avaler la police, ses voitures, ses bus, ses casernes
Le préfet, aussi
S’il y a les criminels là-bas, c’est mieux : je vais les avaler aussi
Tant pis
J’enseigne la littérature
On lit Baudelaire. Une étudiante dit qu’il semble être déprimé, ennuyeux
Je dis : « Pour être écrivain fameux, c’est nécessaire d’être critique et déprimé, pour être commerçant fameux, c’est nécessaire d’être sanguinaire et plein d’énergie »
Elle rit
Je dis : « Je ne veux pas te faire rire, je suis très très sérieux »
Puis, elle rit
Puis je l’avale
Puis j’avale toute la classe, puis ses chaises
Puis une petite souris que j’ai trouvée dans le cartable d’un étudiant
Puis son Comté
Je vais à la plage juste avant la rentrée
Tout le monde part
Je dis : « Ne partez pas, restez plus ici »
Tout le monde part.
Je dis : « S’il vous plaît, mesdames, messieurs, ne partez pas, restez là »
Mais ils s’en vont
Mais avant ça, je les avale
Je n’ai pas de recours
Ils ne m’entendent pas
Je suis seul chez moi
Parce que j’ai avalé ma femme, mon bébé, notre chat, les trois poissons rouges qui s’appelaient Georges I, Georges II, et Frédéric
(Ma femme choisissait ces noms)
C’est emmerdant, d’être seul
Je veux m’avaler aussi
J’ai essayé d’avaler la main, mais je me suis arrêté
Je pensais : « Ne fais pas ça, la main est nécessaire aux humains, » puis j’ai avalé mon pied, une partie du corps bien moins importante
J’ai un problème
Ne ris pas
Je sais que j’ai un problème
L’armée est venue et a dit : « On veut de vous, vous êtes un vrai monstre qui pourrait défendre notre nation contre les terroristes »
J’ai dit : « Je préfère être terroriste »
L’homme en cuirasse, un vrai marabout militaire, un colonel, soi-disant, a dit : « Très bien, puis en lisant ses fiches, il a dit : « On veut de vous, vous êtes un vrai terroriste qui pourrait défendre notre nation contre les autres terroristes, les djihadistes EI inclus, venez avec nous défendre la patrie en Syrie »
J’ai dit : « La patrie de Syrie, ou notre patrie qui n’a pas de frontière en Syrie, peut-être j’ai confondu ce que vous avez dit ? »
Ils m’ont abandonné sur place
Je suis revenu regarder les infos à la télé
C’était nul, plus que nul, une nullité complète, une vraie leçon de bêtises préparée par les bêtes pour les bêtes
J’ai avalé la télé
Puis j’ai avalé le ticket de caisse de la télé que je gardais près de la télé sans aucune raison sauf que je garde les tickets de caisse pour les produits que j’achète près des produits eux-mêmes
Sans aucune vraie raison
Sauf que je prends garde
Je reste vigilant
Je suis Vigipirate
Je suis Vigipirate Noir
Ou plutôt Écarlate
Matt Reeck est poète et traducteur du français vers l’anglais, de l’hindi et de l’ourdou vers l’anglais.
Il écrit ses poèmes en anglais, français, hindi. Parmi les publications récentes :
– en français, le 13 avril 2023, « Intimations » sur le site [la vie manifeste→https://laviemanifeste.com/archives/14507] ;
– en hindi, trois poèmes, février 2022, sur le site [Garbhnal→https://www.garbhanal.com/mauta-se-pahale-kauchha-ishare-parshana-geeta-kee-parsatauti] ;
– en anglais : cinq poèmes dans le numéro de novembre 2021 de la revue The Brooklyn Rail ; - deux poèmes dans le volume 39.3, 2020, de la revue Interim ; - « Dream Duets », publié en janvier 2019 dans la revue en ligne Conjunctions.
Site personnel : https://www.mattreeck.com/