Matt Reeck | Mitry-Mory, 2 : combat furtif

à Mitry-Mory, chez Fatah
d’après la poésie ville-urbaine d’Oppen
le 2 décembre 2023
1
combat furtif à l’étranger
on essaie de ne pas être stéréotypés
mais on l’est
on va au centre-ville
aux cafés aux musées aux bons endroits
ne visite pas les banlieues défavorisées
ne connaît pas la campagne
et ces personnes-là
qui restent de grandes énigmes
on respire on se sent
on reconnaît les sources de notre douleur
mais on ne connaît plus
les bornes de notre vision
borgnes
on devient
2
samedi fin d’après-midi
Fatah qui est ou peut-être n’est pas
exactement musulman
comme vous estimez « être musulman »
chante des prières islamiques
au rez-de-chaussée
pour sa mère algérienne
là depuis des jours
son mari décédé en janvier
3
ils discutent se disputent
ce n’est pas la rage
mais c’est pas la joie
tous les mots qui
se dressent entre nous
barrières qui nous dérivent
à l’étranger
on est de faibles fantômes
touristes-clichés
en revanche
je vois comment chez moi
je bourre ma vie
des inconséquences
pour m’oublier
me refouler
4
éloigné de la grande histoire du centre-ville
un monde médiocre
moins d’une heure de Paris
pas un village construit à la haussmannienne
c’est une petite voie lactée de magasins multinationaux
des deux côtés de l’autoroute banlieusarde
c’est le strip mall à l’américaine
pas une histoire glorieuse et idyllique
des champs et des mains dans la terre
chantant des chants d’une main d’œuvre devenue folklorique
pas les locaux de cultures micros pas de climats
ou de terrains uniques au monde
mais un seul visage mi-bourgeois-anonyme-pan-européen
boucherie turque meubles suédois habits suédois
Tupperware britannique baskets américaines etc. etc.
ces jours-ci
on vit forcément
des vies sous•enchéries
Fatah parle à la caissière maghrébine ; il a reconnu qu’elle vient d’y commencer et il la rassure que « on a tous notre premier jour au boulot ».
Mitry-Mory, 1 : démarche du piéton à l’aéroport
Mitry-Mory, 3 : une fable, l’émeu de Mitry-Mory