Maud Thiria | Dévoration
« tes mots s’enrobent de terre
ta langue se noie
avale recrache
les mots fantômes
comme des membres manquants
coupés effacés »
(extrait de Falaise au ventre, revue L’étrangère, décembre 2019)
Depuis quelques années et différents textes poétiques*, j’interroge la langue et l’écriture autour de la maladie de l’être humain et de son environnement, tentant par une « poésie bancale », « essoufflée » de dire ou traduire les déséquilibres d’un monde qui vacille. Nous sommes dévorés de l’intérieur et nous dévorons l’autre, les autres êtres vivants, la planète qui elle-même nous répond en nous dévorant par des éléments qui se déchaînent.
Je voudrais explorer ici cette question de la dévoration, par l’écriture, dans un prisme large allant du corps humain (ses cellules et ses organes), à l’univers (ses météorites et ses planètes), aux paysages (littoral aux côtes rongées, inondations et sécheresses qui nous menacent), aux relations que nous entretenons entre humains, de ceux que nous laissons mourir faute d’accueil primordial (migrants à nos côtes ou dans nos mers, pauvres de plus en plus pauvres), à ceux que nous ne voulons plus voir (vieux de plus en plus vieux, malades, handicapés) et dont la disparition même de notre vue nous arrange. Une disparition proche de la dévoration.
Partant de certains mythes comme ceux de Cronos et de Médée et ceux issus du Moyen Âge, en passant par l’épisode tristement historique du radeau de la Méduse jusqu’aux films d’anticipation comme Soylent Green de Richard Fleischer, je souhaiterais réinterroger ce à quoi nous assistons, une dévoration universelle intemporelle, à la lumière sombre de notre époque.
Dévoration humaine, dévoration d’un monde.
* Nous contre (extraits dans Terre à ciel, 2017), Falaise au ventre (bourse Gina-Chenouard 2019 à paraître chez LansKine en 2023), Brèche première (extraits dans Nunc n°49 septembre 2020), lu en partie sur scène au festival de la Grange aux Belles en juillet 2021, Trouée (LansKine, février 2022) sur la maltraitance du corps féminin, et Au bout du fil sur la maladie d’Alzheimer (Musimot, avril 2022).