« où que je sois encore… » d’Arnaud Maïsetti et balayer fermer partir de Lise Benincà
« assis sur des bancs, regardons la ville passer » (Arnaud Maïsetti)
Voix qui m’attire du dehors et plonge au-dedans de moi. cri prolongé et sourd abolit les distances. Soudain ressentir l’insensibilité de la mort quand le souvenir s’abat après m’avoir frôlé. D’ici, de cette chambre où je suis et d’où je vois toute la ville, j’entends les voix qui s’élèvent ; d’ici, je sais les reconnaître – chacune d’elles à son secret, et de là où je suis : voix du dedans, du corps qui montent, voix qui de l’intérieur s’échappent de moi et cessent de m’appartenir…
De 21h38 à 7h57, le récit se déroule dans une chambre sous les toits, à Paris, dans le quatrième arrondissement, une chambre où quelqu’un se tient à l’écoute des voix, des échos, des paroles, une chambre des enregistrements.
On a les yeux fermés. On touche des bras tendus, et on s’enfuit. On ne pleure pas. D’autres que nous sont résignés et bavardent sur les malheurs du temps, sur les progrès qu’ils apportent, les perspectives raisonnables de redressement de la courbe, les chiffres s’accumulent, les sourires, les spectacles muets qui empêchent de parler, les pages qui disent à notre place le langage bredouillé des moi-je. Mais nous n’avons pas fini. Nous n’avons pas renoncé…
L’homme qui se jette d’un pont, la fille qui court à l’aveugle, celui qui cogne des poings contre la ville, un retard, un garçon qui se prénomme Ethan, pluie, parois, creux, cris, la nuit est dans toutes les histoires.
Mais ça ne change rien. Ce qu’il faudrait changer, c’est la vie telle qu’elle se prolonge depuis le début, et c’est impossible. L’écrire pour abolir ce que je suis – effacer les restes. La vie comme conséquence, c’est cela qu’il faudrait interdire, oublier. Il a dû se passer quelque chose pour qu’on se sente si dépouillé de tout sans savoir de quoi, si absent de ce monde – je cherche les raisons de tout cela. …
C’est la nuit que s’est écrit « où que je sois encore… », c’est dans la nuit que Arnaud Maïsetti entend sourdre la ville, les individus se défaire de leurs attaches, les rues perdre leur certitude de voies qui mènent quelque part, il en rend compte dans ce récit aussi bien que dans son journal à contretemps qu’il présente ici.
Là il le lit.
On connaît le principe de la collection Déplacements : chaque auteur écrit une postface à son propre texte, celle d’Arnaud Maïsetti s’intitule « Voix, de quels fonds venus ? », on peut la lire ici.
Arnaud Maïsetti a également publié Seul, comme on ne peut pas le dire, une lecture de Koltès, sur publie.net.
Sur page 48, en date du 8 janvier 2008 on l’entendra lire Christophe Tarkos.
« cela peut être dangereux, un espace » (Lisa Benincà)
Dans la collection Déplacements paraît également balayer fermer partir, un très beau récit de deuil et d’espace écrit par Lise Benincà sur les traces de Georges Perec.
Quelqu’un m’a téléphoné. Quelqu’un m’a dit : On l’a trouvé là dans le fauteuil, face à la cheminée. Le feu était éteint.
À la mort du père, la maison construite autrefois par celui-ci semble s’installer dans le corps de la fille, le traverser, le déchirer des interrogations du lieu.
Qu’habite-t-elle réellement : son corps ? la maison paternelle aujourd’hui en vente ? l’appartement qu’elle partage avec Jean et dans lequel, en son absence, la porte du bureau devient l’infranchissable cloison des souvenirs et des désirs ?
Le corps est mon lieu. Y suis-je enfermée ? Les oreilles sont des portes d’entrée. La bouche est une porte de sortie. Je parle du dedans. On m’entend au-dehors. Le corps s’est construit tout seul, je n’ai pas pris de mesures, choisi la couleur des murs ni la forme des meubles. Les cheveux, les yeux. La construction la voici, qui deviendra poudreuse elle aussi, poudreuse la charpente de la maison. Le corps construit par le père, à son image, sans avoir l’air d’y toucher. La couleur des cheveux, la couleur des yeux. Les fondations. Ce que j’en fais, c’est seulement coiffer, habiller, déplacer. Tout le reste avant, cela vient du père.
Le père n’était-il le lieu que de sa mort ?
On entendra Lise Benincà lire un extrait de balayer fermer partir ici.
Citation et liens sur le site lignes de fuite.
La collection Déplacements (Le Seuil)
Où trouver les livres de la collection Déplacements ?
François Bon répond.
Sur remue on a déjà lu et aimé lire La Loi des rendements décroissants de Jérôme Mauche, Manière d’entrer dans un cercle et d’en sortir de Pascale Petit, Abadon de Michèle Dujardin, on a entendu Enfin. On fera silence de Béatrice Rilos.
Si vous voulez avoir une idée exacte de la façon dont la prose contemporaine raconte le monde jusque dans ses failles, ses passés-sous-silence, ses discrètes mais insistantes présences, ses perturbations infimes, ses tremblements nécessaires, lisez ces textes.