Patricia Cros | Notes prises près d’un mur à la campagne

Le détail des passants. Ils ont tous leur compréhension des mondes même s’ils ne font que passer avec leurs cigarettes électroniques et leurs exploits antérieurs.

Le mur cache ses failles comme une jeune fille pudique cache ses cuisses. Les voyeurs matent ses crevasses et ses lézardes mais la plupart des passants passent.

Sans yeux, ils vieilliront plus vite.

Plante de lézarde au soleil, elle sert de cadran solaire alors que les trous du banc, c’est pour la pluie.

La barrière se corrode à vue d’oeil. Le métal perd son brillant pour devenir vestige d’une civilisation rurale dans laquelle le feu avait sa place centrale et les canifs aussi.

La peinture jaune se craquelle en pointillisme anarchique. Sans doute un émiettement.

Quelques grumeaux humains condensés au hasard.

L’orage ne pleut pas sauf les pierres précises :
Elles parlent sale jusqu’aux poumons.

Ce soir je glisse sous la peau,
la pierre, l’eau, le pavé,
caravane de canines,
je lave le sein de longue nourrice.

Une femme d’argile aux yeux qui tombent
respire les machines avec les poings.

Je n’ose pas me taire,
écrire c’est la fausse démarcation,
le vocabulaire de la mise à l’autre.

Une prise de langue entre le bec et l’enclume,
juste au moment où les oiseaux font leur nid.

La chose émerge alors même qu’il n’y a plus de dévoilement possible.

Le discobole troue la toile puis il se penche sur l’espace infini.

Les moineaux sont une formidable machine tremblante.

Nous faisons tous partie de ces fabriques occultes.

Le chat étire ses poils, ses pattes, je vois sa fatigue s ’évaporer de sa toison.

Voir autrement est-ce toujours se plaindre ?

Quelle colère remâchée nous permettrait de trouer le mur ?

S’extraire vers des fourmillements d’espaces non réglés, vers une horizontalité non plane, par exemple.

Dans l’art relationnel, les gens ne font pas l’oeuvre, ils sont fondus dedans.

Elle se jette sur la limite et la dévore, elle englobe et dégobe, elle dégobille les méchants qui ont le pouvoir, elle les dégueule, elle les voile dans ses jupes.

De là où je suis, je peux construire une multitude minuscule et immense, une épaisseur.

Un point précis peut se démultiplier à l’infini, de là, de là, sans un ailleurs.

Voir dedans comment c’est fait un possible.

Nous sommes relativement enfermés.

Des trous qui permettent.

Ici, faire péter l’espace.

Uzeste, août 2019

24 août 2020
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