Trouver sa manière d’être et d’écrire

Valentin Grimaud, professeur au lycée Joliot-Curie (Dammarie-les-Lys, 77), où Mia Brion était en résidence.
Lire en miroir le témoignage de Mia Brion.


Pourquoi, par rapport au lycée et du point de vue personnel, avoir décidé d’accueillir une résidence d’auteur ?

J’ai suivi de loin deux résidences (Bérengère Cournut, Pierre Senges) chapeautées par une collègue de lettres classiques de mon établissement, Rozenn Bouglet, me disant chaque fois que c’était là un moyen unique et ultime de faire vivre la littérature aux élèves.
Fatigué de voir mon amie Mia Brion, qui publie notamment au Théâtre Typographique, se battre contre des tracas financiers, j’ai eu l’idée inspirée de lui faire une place au sein de mon établissement grâce à une résidence.
Ma décision était à la fois une curiosité, une envie professionnelle, et une amitié, une solidarité. En tant qu’enseignant, j’ai entrevu l’opportunité de faire rayonner une artiste auprès de nos élèves, et d’aider une amie.
Auteur moi-même (plutôt monographe ; j’ai écrit sur deux grandes voix de la pop music aux éditions Le mot et le reste, et co-écrit un ouvrage pour une autre personne), j’ai eu envie de participer à la fabrique créative, en en ouvrant les arcanes à un public scolaire. La résidence, c’est aussi une manière (directe comme indirecte) de participer à la vie d’une personne qui écrit. Mia a ainsi réussi à terminer son deuxième livre au bout du troisième mois !

Je ne me serais jamais lancé dans un tel projet, si je n’avais été convaincu que Mia était idéale pour nos élèves. Le montage du dossier est si complexe que je ne me serais pas donné cette peine, si je n’y avais pas cru.
Mia et moi sommes passionnés de musiques actuelles : notre ambition était de nous servir de sa pratique poétique pour questionner la place des chansons, des tubes, des voix dans nos vies. Questionnements proches des pratiques culturelles et artistiques des lycéens. Nous avions là un véritable projet pédagogique pour des adolescents.

Comment se passe l’accueil de l’auteure dans le lycée, dans votre classe ? Comment cette collaboration se construit et évolue-t-elle ?

En tant qu’enseignant, il est parfois difficile de faire une place à une personne tierce dans la classe. Comment céder sa responsabilité, ses rênes, lâcher du lest. Comment accepter que nous ne décidions plus, que le cours ne se déroule plus uniquement d’après nos règles. Comment garantir, en coulisses, depuis le fond, la tenue d’une heure sereine. Il ne s’agit pas de s’effacer totalement, mais de rendre aussi possible l’accueil de l’autrice par les élèves. Cette position intermédiaire m’a ouvert les yeux sur ma propre posture, seul face aux élèves, mais aussi sur l’idée d’une co-animation, d’une collaboration au sein de la classe. Un moment où le cours n’est plus « le cours ».

Les échos de mes collègues ont été tout aussi enthousiastes : « Sinon, les 2gt9 ont fait un super atelier d’écriture poétique avec Mia Brion. Elle a l’habitude et gère ça super bien. Les élèves ont bien accroché ! Je vous recommande, pour nous profs, c’est très confortable !  » (groupe Whatsapp « Lettres Joliot »).

Quelles activités avec les élèves ? quels propos, réactions, avez-vous retenus ? Voyez-vous une différence dans leur attitude ou leur travail ?
Que vous apporte, à tous niveaux, la présence de l’auteur ?

Mia est intervenue dans toutes mes classes, et il n’y a jamais eu de problème. Mia a su mettre les élèves en confiance, leur montrer que le temps où elle intervenait n’était ni une heure de cours traditionnelle, ni une heure de permanence. Par ses activités poétiques progressives, variées, parfois étonnantes, elle leur a offert des moments de créativité auxquels ils ne sont pas habitués au sein d’un établissement scolaire. Certains restent dans un état d’indifférence, se refusent au jeu ; aucun pourtant ne s’est montré défiant. D’autres se sont révélés, en voulaient plus. Qu’on leur parle de leur culture personnelle, qu’on valorise les chansons qu’ils écoutent, leur a montré qu’ils pouvaient être « légitimes », qu’il n’y avait pas que la culture scolaire qui primait, qu’il y avait d’autres manières d’écrire pour soi.

Votre regard sur le travail de l’auteur en a-t-il été modifié ? Est-ce une expérience que vous envisageriez à nouveau ?

Ayant déjà une pratique d’écriture, Mia étant une amie, cela n’a pas tout à fait changé ma vision du travail de l’auteur. Cette résidence a aussi eu l’effet inattendu de me donner envie d’écrire autrement. De la poésie peut-être, de jouer avec la musicalité de la versification libre, d’ouvrir mes horizons créatifs, fictionnels. Comme si la forme de l’essai, ou l’écrire-pour-l’autre étaient des barrières que je m’étais imposées. Voir Mia faire écrire les élèves m’a donné envie de pousser les bornes de ma créativité.
Bien entendu, j’envisage de renouveler l’expérience de la résidence d’écrivain. Quand l’autrice est si investie, avec des pratiques si stimulantes, qu’elle trouve si bien sa place dans un établissement, la résidence n’est que plaisir. Même l’élaboration longue du dossier nous a stimulés, parce que nous croyions fortement à notre projet. J’ai eu l’impression de réaliser un idéal auquel tient tant Mia : un groupe d’artistes, sur le modèle de l’école picturale à la Renaissance ou celui du studio musical – chanteurs, producteurs, paroliers, instrumentistes... – , se forme pour collaborer et décupler sa créativité. Enseignant, auteur, poète, élève, nous étions toutes et tous un peu tout ça à la fois.

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