Vous les connaissez ? Contes ramassés ici et là

Cette sorte de partition à performer est destinée aux étudiants qui y réagiront par leur propre création, établissant ainsi un dialogue avec Emmanuel Moses. Le tout sera publié par les éditions Al Manar et donnera lieu à une lecture en fin d’année universitaire.

© Marie-Madeleine Bonnaud


Vous les connaissez ?
Contes ramassés ici et là

Extrait 3 :
Conte n° 4


Le maître conteur

Il était une fois, une dernière fois, trois simplets. Pourquoi trois ? Allez le leur demander, tiens ! Peut-être qu’à deux, ils auraient l’impression d’être tout seuls et qu’à quatre, ils se sentiraient perdus…
Il était donc une fois trois simplets qui habitaient une maison sans fenêtre. Comment éclairer une maison qui n’a pas de fenêtre ? Voilà la question que se posaient nos trois amis qui n’avaient pas assez d’argent pour acheter une quantité de bougies suffisantes ni pour faire installer l’électricité.

Trois comédiens

Simplet 1 : Je sais ! Je sais, mes frères ! J’ai trouvé la solution ! Il suffisait d’y penser ! Écoutez-moi bien.
Simplet 2 : Remplir la maison d’or ?
Simplet 1 : Mais, espèce d’idiot ! On n’a pas de quoi s’acheter du papier de toilettes et tu me parles d’or ?
Simplet 3 : Y verser de l’huile ? C’est moins cher que l’or.
Simplet 1 : Non mais vous vous prenez pour des nababs ? Comment tu la paieras, ton huile ? Tu crois que l’épicier va te la fournir gratis ? Non. Rapprochez-vous. On va enfermer un rayon de soleil dans un grand sac et l’apporter. Après on aura toute la lumière qu’on voudra. Et à l’œil !
Simplet 2 : Tu es un génie !
Simplet 3 : Viens là que je t’embrasse !

Le maître conteur

Le sac fut trouvé et ils sortirent capturer un rayon de soleil. Ils avaient de la chance : l’astre du jour resplendissait dans un ciel que n’entachait pas le plus petit nuage. De retour chez eux, ils ouvrirent le sac en poussant des cris de joyeuse excitation, battant des mains et trépignant. Mais hélas, le sac était vide. Ils eurent beau le retourner, le secouer, le battre, rien n’en sortait qu’une odeur fétide de jute moisie. C’est alors que le simplet qui avait eu la brillante idée de porter un rayon en eut une seconde, encore plus fameuse.

Trois comédiens

Simplet 1 : Quand un pneu crève, on le remplace par une roue de secours, pas vrai ?
Simplet 2 et 3 : Si !
Simplet 1 : Et quand un plan échoue, on le remplace par un plan de secours !
Simplet 2 : Tu as un pneu de secours ? Enfin, un plan de secours ?
Simplet 1 : Et comment !
Simplet 3 : Lequel ? Capturer un rayon de lune ?
Simplet 1 : Mais qu’est-ce que tu racontes ! Écoutez-moi : On va abattre la maison et comme ça, eh bien, on aura de la lumière à en revendre !
Simplet 2 : Ah, on va vendre de la lumière ?
Simplet 3 : J’ai toujours voulu être marchand de lumière.
Simplet 1 : Vous êtes vraiment des imbéciles finis ! Allez, au travail !
Simplet 2 et 3 : Au travail !

Le maître conteur

Voilà comment se termine ce conte. Ceux et celles qui espéraient une fin heureuse seront forcément déçus. Quant aux autres, dans leurs prunelles brillera certainement une étincelle de ce qu’on appelle « Une joie mauvaise ». Celle qui consiste à rire ou se réjouir du malheur des autres.
Peut-être que c’est avec cette étincelle-là que nos trois nigauds auraient dû éclairer leur maison sans murs. Mais non, bien sûr. Ils étaient beaucoup trop candides pour se douter qu’il existe un sentiment aussi mesquin, aussi vil que la joie mauvaise.


Interlude musical

22 février 2021
T T+