23 - Guy Viarre|Le Livre des Parois & autres poèmes

Le poète Guy Viarre, né en 1971, a mis fin à ses jours. Il s’était fait remarquer voici deux ans - avec d’autant plus de mérite que le milieu poétique reste confidentiel et marginal - par deux publications aux éditions Unes : Finir erre, et Devant le sel. Ces deux plaquettes, lapidaires, violentes, sèches, révélaient une écriture où l’intériorité s’exprime en suffoquant - une phrase, elle-même rompue, révélant l’incomplétude d’où elle naît, signant en paraphes la lutte avec la langue. D’autres publications sont à mentionner, complétant une oeuvre abandonnée dans la souffrance : en 2000, Descriptions du petit (La Bibliothèque du Lion), cette année Important 1, 2, 3 (éditions Cadratins) et prochainement Don’t call me worthy aux éditions Grèges dont la revue proposera des extraits d’ici peu dans son numéro 7. On sait désormais que ceux qui ont apprécié cette poésie s’en feront les passeurs, afin que sa singularité désormais close puisse montrer l’inachevable partage de toute poésie authentique.

Thierry Guichard, Le Matricule des Anges, novembre 2001}


la vitesse seule est au monde.

Chez Guy Viarre (1971-2001), toutefois, la vitesse n’est pas heureuse, elle méconnaît la danse, elle annonce la sanction triste de tout ce qui existe, de la transparence du monde où

le silence est quelque part / qui est en vie.

Silence heureux, semé à l’envers du monde, avec la menthe, abrité des mots et du saccage...

Abrité ? Pas vraiment. Car "le sang avance."
Car le langage flaire "ma profondeur et me tient", se jette sur ce rien de paix et s’y cramponne, lui, le premier chien de l’homme, et le plus ancien parasite du silence : la sangsue nous mord et nous pompe jusqu’au fond, jusqu’à ce que la peau du ventre se colle à celle du dos, et que l’insecte, finalement, décore notre squelette d’une grosse perle brillante de chair flasque,

pour la bâtir jusqu’à la transparence, l’échec.

Jamais la vitesse ne nous préservera de la putréfaction des chairs, jamais elle n’exprimera le transport de la matière, adieu oiseaux de paradis et fusées de lumière ! Si la vitesse prisonnière de ce livre exprime encore un déplacement, il n’est pas de ceux qui animent les paysages, course des nuages, de chevaux, ou déclin du soleil, ni de ceux qui soulèvent les machines, jets de vapeur, arcs électriques, ce n’est pas même un mouvement de l’esprit, mais un glissement de nature indéfinissable, situé en un lieu indéfinissable et pourtant réel, nature dont sont faits les alliances, les essaims ou les foules, toutes les formes de vie incapables de séparation, innocentes de l’adieu.

Parler, c’est alors faire l’expérience de l’écrasement, et de la faiblesse. Rien de ce qui est arraché au silence ne s’en détache vraiment. Bien au contraire, les mots sitôt prononcés se renversent sur leur pente ascendante, chavirent et s’engagent à reconquérir le territoire de leur échec, la sphère de silence dont ils furent expulsés. La tête de sang.

Combattre la légèreté, se priver de ses ailes.

L’écriture se présente alors telle une sorte de reptation, de glissement de terrain, ou d’avalanche, du réel entraîné sur sa pente, comme si tout l’élan s’effondrait sur lui-même et devenait, peu à peu, plus dense que la vie dans laquelle il se replonge, et se fixe. Sous l’action du poème, le réel se révulse, se retourne comme un gant, et ramène sous terre, chez les morts, dans la matrice,

[...] comme un labour / au milieu de son sang / comme au milieu du monde., l’enfant. Son corps lacéré.

"Le Livre des Parois" (éditions grèges 2005) délimite ainsi un espace tangible, et beau, aux "antipodes de l’innocence". On ne s’échappera pas du monde en lisant ce livre. Au contraire, une fois lu, on le posera à plat, fermé, sur le sol, et on le verra comme un mur abattu, comme le rectangle inscrit d’une dalle, d’une tombe, qu’il suffira de profaner, pour y descendre et trouver une demeure,

et la toiture. / si quotidienne. / et si profonde de ne s’user qu’en ta présence.


photo : S427

6 mai 2005
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