Affaires d’écriture
"Les mots sont là dans un travail à faire ou qu’on a fait", James Sacré
« En fait je ne suis jamais passé à autre chose : je ne fais toujours que reprendre mon geste : écrire un livre de poèmes. »
Ce chantier perpétuellement ouvert a des bases solides. Quiconque le lit depuis plusieurs années le sait et ces Affaires d’écritures, où sont réunis quelques uns de ses ouvrages, nous le démontrent à nouveau en offrant, de façon non chronologique, des ensembles publiés entre 1968 et 2003. On y retrouve ce constant va-et-vient qui, d’un livre l’autre, permet à la mémoire de se réactiver en se frottant au présent. Un mot, un regard, un lieu-dit ou tout autre indice imprévu (une faneuse rouillée, un lavoir désaffecté, une charpente qui craque, deux corbeaux – lui dit « grolles » – posés en haut d’un orme) suffisent pour que s’enclenche en lui le mouvement qui va amorcer la pompe, le cœur, le « geste » d’écriture.
« Tout ça déjà décrit, d’autres poèmes, déjà dans le temps : bouts de plaines anonymes, des endroits sans force de symbole, sans apparent désir d’être des rêves dans la mémoire humaine...
silences d’herbe dure, rangés sur les planches de nos souvenirs comme des pains rassis et des couennes poivrées de vieux jambons... »
L’ancrage dans le paysage, tout particulièrement dans celui, tout en méandres et en contrastes, qui fut celui de son enfance à la ferme en Vendée, est très présent. James Sacré reste attentif et curieux. Il ne se laisse jamais aller à ce qui touche au vaste panorama. Ce qu’il cherche, c’est l’approche familière qui va l’aider à dire non seulement un morceau du paysage (pâtis, haies, pièce de luzerne ou buisson d’aubépine) mais aussi des instants de la vie quotidienne de ceux qui travaillent ce territoire si particulier en étant, d’une certaine manière, et en retour, eux aussi, dans leur corps et jusque dans leur langue, leurs gestes, également travaillés par lui.
« Évidemment d’écrire un paysage ça n’en dit pas grand chose mais ça fait que voilà un poème pour parler même si c’est pas précis ses mots la tournure de ses phrases l’ensemble c’est bien comme une espèce de gros buisson. »
Sa façon de tâtonner avant d’attraper la couleur juste (c’est souvent le rouge qui chez lui domine), ou le nom de l’arbre, ou de l’oiseau, ou de l’outil dont il parle, posséder ce vocabulaire, ce lexique approprié et l’associer à la tournure et à l’emboîtement des mots et des verbes qui lui semblent les plus pertinents, sans oublier la possible rime ou la césure qui s’invite à l’improviste, donne à sa voix cette singularité à laquelle viennent s’ajouter certaines particularités, venues du patois vendéen.
« Est-ce qu’on a tellement l’air paysan
Si on ressemble à du patois ?
À cause d’une façon d’attraper les mots
Qui fait bouger la tête comme ça
Plutôt qu’autrement, sans doute...
Pour le reste ça veut dire quoi parler comme un paysan ? »
Les poèmes réunis courent sur plus de trois décennies. Ils attestent de la grande continuité d’une œuvre en mouvement. Leur forme bouge. James Sacré passe aisément de la prose au vers, y compris dans l’espace d’une même page. Pour lui, ces textes sont des « ancrits ». Ce mot, qui avait donné son titre au bel ensemble qu’avait édité en 1983 Thierry Bouchard (ensemble ici repris), n’a pas été choisi par hasard. On le trouve dès 1876 dans le Glossaire du patois poitevin établi par l’abbé Lalanne qui en donne une définition très simple : un ancrit est un écrit imprimé.
« Un ancrit comme le dit la définition du mot, n’est pas forcément un poème. J’aime que cela me permette d’écrire sans m’inquiéter de savoir si j’écris un poème ou pas. J’écris. Ou quelque chose s’écrit (comme on dit maintenant depuis, disons Rimbaud) ».
James Sacré évoque, avant ou après quelques unes de ces suites rééditées, ce qui, à l’époque, avait suscité leur écriture et s’arrête sur ce qui, aujourd’hui, l’amène à les rassembler, en y posant un regard bienveillant et en parvenant à créer une belle unité, dans un même et nouveau livre. On y avance lentement, c’est un réel bonheur de lecture, un long cheminement, passant des sous-bois à l’aire libre en multipliant les zigzags et les rencontres, guidé par cette voix qui interroge et qui s’immisce dans les interstices du paysage, de la mémoire et de la langue sans jamais perdre (bien au contraire) de sa précision, de sa simplicité et de sa force.
James Sacré : Affaires d’écriture, collection Reprises, Tarabuste éditeur.