André Markowicz | Un entretien aléatoire (9)

Au-delà, sa voix n’est plus iambique,
elle accroche sur le premier temps,
ininterrompue,
lente, en elle-même,
à remplir l’espace neutre où je
me dissoudrais sans
elle, dès lors que je me suis laissé
déplacer d’une conversation
trentenaire, du
jour au lendemain, —
une voix
pour redevenir aveugle
et apprendre à respirer
ou à voir par des poumons
autres que les miens. Ici,
je n’ai plus semblance de personne
et le verre a des parois bleutées.


La spirale pourpre, vénitienne
à travers le brun et le
jaune déchiré du ciel d’après
l’acte
ouvre sur un corps
sans défense, comme pas à lui-
même — je n’ai rien à reconnaître, c’est
son regard à elle qui m’enlève
à la forme que j’avais reçue
en partage.

— Et ses yeux ?
que tu peux-tu me dire de ses yeux ?
Touche, et crie, tu la
fais crier.
Le miroir posé devant la source,
elle se dénude et ses
doigts tâtonnent sur sa peau nouvelle.


L’ange tombe tête la première, l’arbre
est un torse avec deux bras dressés
et le vent non vu créée le visage.
Aux récits sur les anthropophages, sur
ceux qui ont des corps de loups
revêtus de soie et de brocart
qu’elle écoute — elle se voit pareille
et attend qu’ils viennent — c’est Suzanne.
— Elle n’est jamais au centre, tu
sais ? — je sais, j’ai reconnu ma place
au moment où ils l’ont regardée.
Elle rend l’oubli
inutile. Quand la scène
est à l’œuvre, par le tournoiement,
vraie ou fausse,
elle apprend à vivre avec ses morts —
c’est un autre nom de la vieillesse.


2-10 mai 2011. [1]

27 octobre 2011
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[1…‹Note :
…‹ce texte, construit sur une base trochaïque (et non plus iambique, comme tous ceux que j’avais écrits précédemment) a été conçu, autour de l’idée du regard et de la spirale dans l’Idiot de Dostoïevski, à partir de plusieurs images du Tintoret, de ma traduction d’Othello (le récit d’Othello sur ses aventures) et d’un poème de Mandelstam, écrit en 1920 et tiré de Tristia (traduction mot à mot), « De la vie vénitienne, lugubre et stérile/, Le sens est clair pour moi ». — Le dernier vers de ce magnifique poème est : « Et Suzanne doit attendre les vieillards ».