Armand Dupuy | 9 pans de fatigue

Nous avons déjà accueilli Armand Dupuy à l’automne 2007 pour un texte intitulé dehors/ hors de / horde.

Dans le texte 9 pans de fatigue, nous retrouvons cette écriture qui se tient au bord d’un sentiment qui échappe. La brieveté des phrases nous cloue dans l’instant et pourtant ce tremblement dans les yeux qui ferait voir plus loin. Fabienne Swiatly

9 pans de fatigue

à B.S.

Peintures de Barbara Schroeder

Peintures de Barbara Schroeder

1.

On tient mal devant, sans prises. Un reste de main
tend corde et nerfs, désaccorde. Peut-être
n’avance-t-on pas. Jusqu’au bleu, personne.
On éclate un bruit d’eau – uppercut. Les rôles
pivotent et la proie. Rien que l’usure d’un surplace de couleur dans les jambes. Dépeuplées.

2.

Temps moite fermé sur le visage. On mâche sa langue sans rien dire. On voit la terre en loques, la nuit ridée. Telle nuit qu’on charrie depuis quand. Un défaut d’œil, un écart tenace trahissent.

3.

Vie vidée. Dépouillée de tout être, de tout obstacle. Les appuis fuyants, on reprend sous une pluie de roche éclatée. Le paysage ravale ce qu’on déroule. Une entaille sombre, près des lèvres, se lève. La nuit dure à naître. Son travail de patience effacé.

4.

Quelque chose à l’endroit du ciel, mal placé. Un plafond de lichen ou d’algues. Une marée de gorge, tout doux, claque aux parois. Comment dire. L’œil pioche du gris sans le noir. Une saignée dans la crasse : on traverse seul sa nuit.

5

Friction d’air et d’eau. On ne passe qu’en rampant dans ce jus. Le vent fouette un fil de pensées lâches. Le ciel vitreux baisse-t-il vraiment. En ces lieux, toujours, toujours rôdant bête de manque.

6.

Re-bleu. Le mur d’eau craque. Ce bleu pour disparaître. A pas comptés tourne en rond, bras lourds à porter. On cherche quelqu’un, le refuge de reins solides. L’embûche déviée d’un pied trop sûr. Et l’abîme devient providence.

7.

Glue noire d’un tronc. Le front barré. Une forme lancée, plus vite que les yeux, ne laisse qu’un son neutre. Un épais fromage de tête se forme, s’agite et brouille le reste. Un pied devant l’autre, puis l’autre. On s’affaisse.

8.

Une torche fixe ou le glacis d’un étang. Ça trompe un instant. L’herbe recule sur les orteils. Quelques miettes qu’on arrache à la vitre. Le gris s’amasse dans la nuque. On décélère avec ce qui bouge.

9.

Muscles hachurés par le froid. Au train, déplacent la mousse et l’eau comme un pan de fatigue. L’œil étalé va rondir à nouveau, gonfler sa pâte. Toute une nuit sans la nuit. Et la solitude, enfin, creuse un puits lent dans les chairs.

Amand Dupuy vit à Lyon, son blog en cliquant ici.

13 mars 2008
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