Cécile Wajsbrot et Marcelline Delbecq en entretien
Cécile Wajsbrot avec Alain Veinstein,
Du jour au lendemain, France Culture, le 2 avril 2013
C’est la couverture de Destruction, paru en 2019 chez Le Bruit du Temps, qui avait attiré mon attention dans la vitrine de la librairie Vendredi rue des Martyrs : un quartier de lune photographié sur fond de ciel entre chien et loup, comme ayant échappé à l’ombre métallique d’une tour — tour Eiffel ou de contrôle, de transmission. Image métaphorique d’un récit aussi mystérieux qu’haletant dont la portée faisait déjà tellement écho à l’époque que nous venions de traverser et laissait à tel point présager celle qui nous attendait. Et en le lisant je m’étais demandé pourquoi personne ne m’avait jamais parlé de vos écrits. En cherchant davantage d’informations sur vous, j’avais découvert votre sensibilité à la voix, aux voix, aux personnages fantomatiques, à un certain ancrage dans le réel — disons une approche romanesque qui tient de l’essai parfois — et vos origines juives, votre manière de penser la vie, et votre vie, dans un entre-deux : entre deux villes (Paris et Berlin), entre trois langues (Français, Allemand, Anglais), entre le dit et le non-dit, le passé et le présent, le silence et la parole, la lumière et l’ombre, l’intérieur et l’extérieur, l’image et l’abstraction. Tout cela étant loin d’être étranger à ma propre appréhension de l’écriture, de la vie, du monde.
« Je n’aime pas parler de moi – ce n’est pas très intéressant. Mais je n’imaginerais pas une vie sans lire et sans écrire. »
C’est par cette parole qui vous est empruntée que nous pourrions commencer. On sait en effet peu de choses de vous si ce n’est que vous êtes née à Paris en 1954, soit onze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, y avez grandi et fait vos études, enseigné également. Vous vivez entre Paris et Berlin (donc « ni ici ni là-bas ») et à Paris dans le XVIIIème arrondissement (Marcel Cohen m’a récemment donné votre adresse postale pour que je puisse vous écrire à quel point j’avais aimé Nevermore), mais à Berlin je ne sais pas, je ne vous situe nulle part géographiquement dans cette ville immense.
À quoi ressemblent les lieux entre lesquels vous partagez votre temps ? A quoi ressemblent les lieux dans lesquels vous passez votre temps ? Les temps de la lecture et de l’écriture se déroulent-ils au même endroit ? Diriez-vous de la traduction qu’elle est à la fois lecture et écriture et dans quel lieu traduisez-vous ou à quel lieu vous sentez-vous appartenir lorsque vous traduisez ?
Cécile Wajsbrot : J’avoue vous avoir découverte à la suite de votre article dans AOC sur mon roman, Nevermore, et avoir été plus qu’intéressée par votre intérêt pour la radio, pour les voix, par le déploiement de votre activité artistique en différents domaines, y compris l’image. Votre amour de la forme de l’entretien, aussi, que - sans en avoir fait autant que vous - je partage. J’avais même imaginé, un jour, écrire un roman sous forme d’interview. Mais parlons plutôt des lieux. À Paris je vis dans le XVIIIe arrondissement depuis bien longtemps, un chiffre qui m’effraie, trente-quatre ans. C’est-à-dire près de la moitié de ma vie. J’aime ce quartier de Paris où malgré les changements, au fil des années, il y a toujours un brassage de population, des origines diverses. En quelques pas on change d’atmosphère. Il y a le boulevard, lieu de transit sillonné en période habituelle par les touristes. D’un côté Barbès, qui se transforme avec lenteur seulement, de l’autre Pigalle et ses contreforts, que d’aucuns appellent Southpi, avec ses bars branchés, plus haut les Abbesses, davantage milieux du théâtre, des médias, plus bas la rue des Martyrs avec la librairie Vendredi, ce lieu vraiment unique, et des commerces de bouche plutôt bobo, sans doute un peu plus bo(urgeois) que bo(hèmes). Mais tout cela circule, les flux se croisent, se mêlent, se séparent. Contrairement à ce qu’on dit, on trouve une mixité à Paris. La banlieue est soit résidentielle et prospère, soit délaissée. Les villes moyennes ou petites ont une population assez uniforme. Je ne me sens à l’aise que dans les grandes villes, les capitales, surtout, en raison de ce mélange synonyme d’ouverture, de liberté.
Depuis des années je passe mes journées dans une chambre de bonne, tout en haut d’un escalier de service. Lieux de vie et d’écriture, de travail, sont séparés. Autant l’appartement est sombre, autant de là, je vois le ciel, une trouée ouvre l’horizon jusqu’aux collines de Meudon, et plus près la tour Eiffel, le Grand Palais, le clocher de la Trinité, et la Maison de la Radio. En face j’ai une vue plongeante sur ce qui était l’atelier de Xenakis.
Berlin est arrivée dans ma vie au tournant du siècle. De la ville où je ne pouvais pas aller - les sonorités même du nom me semblaient sinistres, évoquaient la capitale du Troisième Reich - elle est devenue la ville où j’ai voulu aller (c’était après la chute du mur), puis celle que je ne peux plus quitter. Mon premier long séjour - une résidence de six semaines - fut plein de moments d’exaltation. J’avais peu d’obligations et le reste du temps, je me promenais dans Berlin. Je reprenais contact avec la langue allemande par les journaux, les livres, en écoutant la radio. Pour cette résidence il fallait justifier la nécessité d’une présence à Berlin. J’avais imaginé le principe d’un roman qui relierait les tableaux romantiques de Caspar David Friedrich, entre autres certains paysages de ruines, et les grues des chantiers qui parsemaient la ville. La rencontre du passé et de l’avenir. Dans les rues de Berlin je me sentais happée par ces deux temps et je me demandais, mais où est le présent ? Qu’est-ce que le présent ? J’écoutais beaucoup la radio, notamment une émission consacrée à la retransmission de discours. S’est peu à peu dessinée l’idée d’écrire un roman - Caspar Friedrich Strasse - sous la forme d’un discours, le discours d’inauguration d’une rue de Berlin, une rue imaginaire portant le nom du peintre. C’est sans doute la première fois, dans mes romans, qu’intervient un travail sur les voix. Une voix, en l’occurrence. Une situation paradoxale, un texte écrit censé reproduire une parole. C’est à Berlin que j’ai repris la voie de l’expérimentation - commencée au début des années 90 avec Atlantique, roman dont la structure suivait le quatuor de Schubert, La jeune fille et la mort, où chacun des quatre personnages (ils avaient des noms, à l’époque, ou plutôt des prénoms) était traité comme l’instrument dont ils jouaient dans la partition de Schubert.
MD : Il y a donc deux lieux d’où l’écriture émane : une chambre de bonne comme un refuge, avec vue sur Paris et sur un espace à perte de vue où la pensée peut aller et venir à sa guise. Un endroit qui permet aussi de se projeter dans un studio de la Maison de la Radio pour enregistrer un texte — peut-être celui que vous écrivez en ce moment et quel est-il ? — qui adviendra dans le silence de l’écrit mais pourra aussi, parfois, se penser à voix haute.
Il y a deux jours, je suis allée au studio 147 pour enregistrer ma correspondance avec la poétesse et essayiste écossaise Kathleen Jamie [1] : d’une part ses textes en version française [2], avec en tête sa voix à l’accent écossais entendue dans les enregistrements qu’elle m’a fait parvenir (nous ne nous sommes jamais rencontrées), d’autre part les miens, autotraduits de l’anglais — exercice qui m’a fait beaucoup réfléchir. Cette correspondance s’est tissée au fil de nos vies, de nos réflexions, de nos pensées induites par la lecture de l’autre, tout cela au cours d’un moment en suspens du monde auquel nous n’avons toujours pas échappé. Cette forme très personnelle d’adresse et d’échange n’a donc pas été écrite au départ pour être entendue, à tout le moins lue, et il s’agit de lui trouver, de lui donner une vie radiophonique. C’est très palpitant. Seule dans cette pièce calfeutrée, totalement coupée du monde, les arbres agités par le vent sans que j’en perçoive le moindre son, je regardais régulièrement le défilement des secondes s’effaçant les unes les autres sur le cadran l’horloge numérique en pensant au très beau et méconnu À la minute de Walter Benjamin. Comme vous je crois, je suis une avide auditrice de radio ; de chaque écoute émane une expérience singulière, que l’on soit statique ou en mouvement, que l’on écoute ou que l’on entende. Un rapport au monde et au temps destitué du visuel, engageant néanmoins le corps entier : circulation du son dans les conduits auditifs jusqu’au cerveau ; balance permanente entre les images mémorielles et les sons.
Pourriez-vous nous raconter ce qu’a déclenché en vous votre première expérience radiophonique ? Comment et pourquoi les voix, dans leur évanescence et leurs paroles marquantes, manquantes parfois, se sont immiscées dans la plupart de vos écrits récents ? Et d’où viennent les voix qui vous viennent en écrivant ?
Mais nous sommes restées à Paris et la prochaine fois nous parlerons de Berlin, de ce retour à la langue allemande dont je me demande où elle s’était enfouie, enfuie.
CW : Je trouve très beau le principe de l’échange que vous évoquez avec Kathleen Jamie, s’écrire sans se parler, le principe de la correspondance. Il y a, un peu comme dans ces conversations dans une ville inconnue ou dans le train - particulièrement le train de nuit, mon grand regret est qu’il n’existe plus entre Paris et Berlin - quelque chose de plus libre, de gratuit. Et votre évocation du studio de radio, de ce lieu coupé du monde, me rappelle le temps lointain où je faisais parfois des émissions, la cellule de montage où la journée s’écoulait dans un autre temps, un autre univers, la haute précision du mixage. La cabine du studio. Si les instruments ont changé, c’est toujours le lieu d’une technique mystérieuse - pour les néophytes comme moi - et fascinante où le son se transforme en lignes graphiques colorées. Quelque chose comme la cabine de pilotage d’un bateau.
La radio, je l’ai toujours écoutée. Je crois que c’est ce qui me reliait au monde. J’ai eu une enfance et une adolescence assez solitaires et en rentrant du lycée, j’écoutais la radio en faisant mes devoirs. L’un de mes premiers achats avec le premier argent que j’ai gagné fut un transistor qui permettait de capter sur ondes courtes des postes de tous les pays. C’était fascinant, tous ces lieux, toutes ces langues, l’anglais bien sûr, mais aussi le grec, les langues slaves... On a peine à imaginer aujourd’hui où tout est immédiatement accessible sur internet, à quel point chaque pays était retranché sur lui. La radio était une ouverture fantastique. J’écoutais surtout la nuit, quand tout le monde dormait, et il se trouve que c’était aussi le moment où le son était le plus net, où on captait les stations les plus lointaines. J’ai participé à l’aventure des radios libres, après 1981, dans la période pionnière, avant l’attribution de fréquences fixes. C’est sans doute là que j’ai découvert que la radio pouvait être un mode de création. Ce qui m’a menée vers France Culture et l’écriture de fiction. Écrire pour la radio m’inspire. En même temps j’ai conscience qu’à la radio, le texte écrit n’est qu’une base pour le travail de réalisation et j’aime aussi cette idée d’un travail collectif, même si je regrette toujours un peu que chacun reste cantonné dans son domaine. Mais il y a ce moment de convergence où les comédiens lisent le texte, où on découvre comme la face cachée, le versant oral de ce qu’on a écrit.
Les voix, dans mes livres, font partie d’une conception musicale qui s’est forgée à mesure du temps. J’ai éprouvé le besoin de contourner le caractère artificiel des dialogues dans le roman qui rompt souvent la continuité narrative et j’ai tenté différentes solutions. Les éliminer ou presque en ne restituant qu’une narration, ou ce roman écrit sous la forme d’un discours, ou faire en sorte que la prise de parole ne soit pas un dialogue mais la présence de voix, des bribes de conversation, une succession de phrases qui se complètent. L’expérience s’est d’abord faite dans une fiction radiophonique, Consolation, puis installée dans le roman qui a suivi, Mémorial. Est-ce un hasard si ces textes jumeaux - dans les deux cas il s’agit d’un voyage en Pologne qui est une sorte de retour aux origines de la narratrice - ont été inspirés par mon voyage en Pologne, le pays d’où vient ma famille, et qui m’est apparu, au retour, comme une tentative absurde dont j’ai voulu, peut-être me consoler en mettant en scène une narratrice aux prises avec les voix du passé ? Toujours est-il que depuis - plus d’une quinzaine d’années maintenant - les voix ne m’ont plus quittée et viennent ponctuer le récit dans une alternance narration/voix qu’on trouve sous diverses formes en musique, orchestre/soliste, récitatif/chant, instruments/voix.
MD : La dernière fois que je vous ai écrit je vous savais à Paris et regrettais de ne pas avoir évoqué Berlin. C’est à présent là que vous vous trouvez et je m’interroge sur ce à quoi ressemble votre quotidien d’écrivaine délocalisée, quand et où l’écriture fait irruption, si irruption elle fait.
Dans votre dernier livre Nevermore, la narratrice s’isole non pas à Berlin mais à Dresde pour traduire To the Lighthouse de Virginia Woolf et c’est dans cette ville qu’elle ne connaît pas qu’apparaitra une figure aimée disparue. Elle se plonge dans un texte en anglais pour en travailler phrase par phrase la traduction en français, seule dans une ville où tout le monde ou presque parle une tout autre langue, l’allemand. Et au début de notre entretien, vous aviez dit en évoquant votre premier séjour dans l’immense Berlin dont vous vous étiez jusque-là tenue à distance : « Je reprenais contact avec la langue allemande ». C’est précisément de cela dont j’aimerais parler, et peut-être que le fait de justement vous trouver à Berlin pour m’écrire engendrera une réponse différente de celle que vous auriez écrite à Paris.
Parler de reprise de contact signifie bien que le contact a un jour été perdu, comme peut l’être l’émission d’un signal radio, une ou un ami dont la trace s’est effacée avec le temps. Etre en contact avec une langue n’est-ce pas la parler, l’entendre, la lire, mais aussi l’éprouver physiquement, en interagissant avec les visages et les corps de celles et ceux qui la parlent, l’incarnent, les lieux qui en portent la trace à l’écrit, les échos ?
Vous avez donc renoué le contact avec une langue grâce à une ville qui l’incarne particulièrement et êtes allée jusqu’à choisir d’en devenir passeuse en la traduisant pour la faire exister aussi en français, dans votre français. Cette langue allemande, l’aviez-vous apprise puis oubliée ? Avait-on interdit sa présence autour de vous ? Que s’est-il produit lorsque vous avez décidé de laisser passer, à travers votre personne physique, cette langue maternelle d’Hannah Arendt à laquelle Paul Celan n’a jamais voulu renoncer ?
CW : Je suis en effet à Berlin depuis hier soir. Reprendre contact … j’ai appris l’allemand en seconde langue. J’avais alors un rapport conflictuel à cette langue. Ma grand-mère souhaitait que je l’apprenne pour que je puisse comprendre le yiddish qui était sa langue maternelle, et je comprends en effet le yiddish à travers l’allemand. Mais c’était aussi la langue dans laquelle tout était arrivé - même si mon grand-père avait été déporté à la suite d’une convocation de la police française, dans le camp de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret, avant d’être déporté à Auschwitz. L’allemand était donc à la fois une langue familière (les sons ressemblaient au yiddish que j’entendais ma grand-mère, ses frères, et mon père parler) et hostile. À la maison, par exemple, il était hors de question d’avoir quoi que ce soit de marque allemande, ni bien sûr d’aller en Allemagne. C’était un peu difficile de s’y retrouver. J’ai évoqué ce rapport à la langue allemande dans une fiction radiophonique, une commande de France Culture et de la radio sarroise pour écrire un texte bilingue, en français et en allemand.
J’étais donc moyenne en allemand, ma préférence allant sans hésiter à l’anglais, une langue sans histoire ou plutôt, à l’histoire - celle de la Seconde Guerre mondiale du moins - glorieuse. Je n’ai pourtant jamais entièrement perdu contact avec l’allemand. La langue m’a d’abord séduite à travers la littérature, la découverte du texte de Wolfgang Borchert, Draussen vor der Tür, littéralement dehors devant la porte, une pièce radiophonique au départ qui se passe après la guerre, dans la ville de Hambourg en ruine, un soldat veut se jeter dans l’Elbe mais l’Elbe le rejette, lui dit qu’il doit vivre d’autres expériences. Il tente de survivre avec sa culpabilité mais échoue et se retrouve devant l’Elbe, de nouveau, qui cette fois l’accepte. C’est un texte extraordinaire dont l’impact a été très fort, à sa diffusion, en 1947. À moi aussi il a fait grande impression, et c’est le premier pont qui a été jeté, je crois, avec l’Allemagne. J’ai grandi dans un pays muet sur l’ombre dans laquelle vivait ma famille, la persécution, les fausses identités, le passage en zone libre, le danger. Et ce grand-père et d’autres disparus à Auschwitz. Là pour la première fois je découvrais une douleur commune, même s’il n’était pas question de l’extermination des personnes d’origine juive mais seulement du front Est. Et je n’ai plus cessé de lire en allemand, bien qu’irrégulièrement. La chute du mur et la réunification, je les ai suivies dans la presse allemande. Mais de là à parler… Il y a eu donc réapprentissage à l’automne 2000, la résidence dont je vous parlais. Puis l’installation partielle à Berlin, en mars 2002, un deux pièces dans la partie Est de la ville. Il fallait tout acheter, dormir par terre en attendant la livraison du matelas, s’occuper de l’électricité, du téléphone (neuf mois d’attente), une aventure, et tout cela en allemand. Je pensais à ma famille, arrivée en France sans connaître un mot de français, à tous ceux qui quittent leur pays et arrivent dans un autre sans en connaître la langue. Moi je la connaissais quand même un peu, j’en avais des souvenirs et pourtant j’éprouvais la difficulté des démarches administratives dans une langue qu’on ne maîtrise pas vraiment. Peut-être à plus forte raison en allemand ? Aujourd’hui encore, à chaque fois que je reçois un courrier administratif, j’ai peur, peur de ne pas comprendre ce qu’on va me demander. Traces de l’Histoire. Et même si j’ai le sentiment que ma relation à l’Allemagne, à la langue allemande, est depuis longtemps pacifiée - peut-être que traduire aide à cela aussi, travailler sur la circulation entre les langues, sur le passage possible et sur un reste indivisible - des lapsus de lecture me révèlent parfois que tout n’est pas si simple. Sinon je ne lirais pas systématiquement, sur les puzzles, Ravensbrück au lieu de Ravensburger. Je n’aurais pas un sentiment bizarre devant certains mots, Lager - un dépôt anodin derrière lequel se profile aussitôt un camp - ou Sonderaktion, prix spéciaux derrière lesquels se cachent les Sonderkommandos.
Aujourd’hui je traduis de l’allemand, je ne vérifie plus comme au début chaque mot avant d’envoyer un mail en allemand. Il m’arrive même d’écrire des textes courts dans cette langue. Dans son autobiographie, Elias Canetti parle d’une langue perdue. L’allemand est pour moi une langue gagnée. Gagnée sur moi, sur l’histoire familiale, gagnée sur l’Histoire et le temps.
Artiste et autrice, traductrice occasionnelle, Marcelline Delbecq termine actuellement une thèse de doctorat SACRe à L’Ecole Normale Supérieure sous la direction d’Antoine de Baecque. Elle a longtemps enseigné en écoles d’art (ENSAP-Cregy, ENSAD, Paris College of Art) ainsi qu’à l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage de Versailles. Elle contribue régulièrement à des revues et fait partie du comité éditorial des Carnets du Paysage (ENSP Versailles/Actes Sud). Elle a publié plusieurs livres dont Camera, chez l’éditeur new-yorkais Ugly Duckling Presse.
Romancière et essayiste, auteure de fictions radiophoniques, Cécile Wajsbrot est également traductrice de l’anglais (Viriginia Woolf) et de l’allemand (Peter Kurzeck, Marcel Beyer).Elle vit actuellement entre Paris et Berlin, et a récemment fait paraître Nevermore, aux éditions Le bruit du temps.
Pour suivre l’actuelle et passionnante résidence de Cécile Wajsbrot à la Librairie Vendredi, c’est ici.
[1] D’ici et là — fragments d’une correspondance avec Kathleen Jamie, commande du CNAP à Marcelline Delbecq pour L’expérience, France Culture, diffusée le 20 juin 2021 à 22h puis disponible en podcast.
[2] traduits par Ghislain Bareau, de même que ses livres Tour d’horizon (2019) et Strates (2020) publiés aux éditions La Baconnière, Lausanne.