Ars Industrialis : remue.net s’associe




L’initiative de Bernard Stiegler, soutenue et relayée, récit de l’AG constitutive du 18 juin.

La journée fut belle et dense au théâtre de la Colline en cette après-midi du samedi 18 juin 2005.

Premier volet d’un vaste chantier, première rencontre de travail ouverte par la nouvelle association Ars Industrialis, initiée par Georges Collins, Marc Crépon, Catherine Perret, Bernard Stiegler et Caroline Stiegler.

Rappel de quelques faits : la féconde activité de Bernard Stiegler est une des sources (forcément multiples) de cette initiative. Quelques volumes parus chez Galilée permettent d’en tracer un sillon (on rappellera les volumes de La technique et le temps, ceux de De la misère symbolique, [1] Passer à l’acte, ou encore l’introduction que peut constituer le recueil d’entretiens paru en 2004 Philosopher par accident.). Il y a enfin le dialogue avec les fondateurs de l’association permettant de déployer des bifurcations et surtout de mettre en branle le projet.

L’association Ars Industrialis élabore sa première plateforme avec la création d’un site [2] et d’un manifeste (un site comme manifeste, peut-être). La première réunion publique du 18 juin vient prolonger pour l’avenir l’ambition d’une action intellectuelle. [3] Que faire après les diagnostics ? Que faire avec ses outils théoriques, sa pensée et ses pratiques contre la crise morale et psychique, contre un populisme industriel qui intensifie de dangereuses formes de contrôle et d’inquiétants processus de désublimation ?

Contrairement aux postures de l’époque qui désignent unilatéralement un responsable ou montrent du doigt le coupable (la technique, le capitalisme, le profit, l’industrie culturelle...), Bernard Stiegler et le NOUS vital de l’association entendent bien ne pas tomber dans un tel travers.

Les premiers mots prononcés à la Colline (et que l’on retrouve dans les dix points du manifeste « Pour une politique industrielle de l’esprit ») soulignent la volonté de rester fidèle à la complexité des choses et à la nécessité de ne pas les simplifier. Avec une base conceptuelle inscrite dans une histoire et dans un contexte historique précis (le processus de numérisation généralisé) [4] , Ars Industrialis propose simplement de travailler et d’agir pour une nouvelle vie de l’esprit c’est-à-dire une « politique industrielle de l’esprit [5]

Face à une ruine du désir et face à un inquiétant développement d’un régime strictement pulsionnel, Ars Industrialis n’entend pas stigmatiser mais lutter contre une « tendance autodestructrice du capitalisme » par « l’invention de pratiques des technologies de l’esprit [en reconstituant] des objets de désir et des expériences de singularité ». Le renversement dans lequel Ars Industrialis s’engage est une lutte active contre les tendances dévastatrices de l’époque pour envisager une nouvelle puissance publique et affirmer une véritable culture de savoirs qui n’en reste plus aux discours de surface et aux bonnes intentions qui ne coûtent jamais rien.

C’est pourquoi la première piste de travail proposée lors de cette première séance était de se pencher sur les textes qui préparent le prochain sommet mondial organisé par l’ONU sur la société de l’information à Tunis (16-18 novembre 2005 )et d’envisager à partir de l’indigente communication de la commission au Conseil au Parlement européen (celle qui prépare au niveau européen ce sommet) une alternative critique.

Les nombreuses pistes de travail restent à ouvrir et à développer avec Ars Industrialis qui cherchent, au-delà d’un nécessaire travail de la pensée envisagé comme une arme, à organiser une lutte contre retrouver les enjeux de la singularité et du partage.

22 juin 2005
T T+

[1Le désert croît, écrivait Nietzsche, il y a près d’un siècle. Et nous constatons ce désert tous les jours : Patrick Le Lay, président de la première chaîne de télévision française, se donne pour ambition de préparer nos esprits à recevoir des publicités de Coca Cola. Jean-Marie Le Pen arrive au second tour de l’élection présidentielle française. Madame Unetelle, vivant dans les cités, ne sait plus distinguer une œuvre d’art comme L’Esquive (d’Abdellatif Kechiche et Ghalya Lacroix), d’un reportage télévisé sur son univers.

C’est cela que Bernard Stiegler appelle la misère symbolique.

[2Un compte rendu audio-visuel de cette réunion sera bientôt disponible sur le site web de l’association

[3ARS INDUSTRIALIS se fixe pour objectifs :

• d’animer une réflexion collective, internationale et transdisciplinaire, par des moyens tels que des rencontres, des séminaires, des colloques,
• de diffuser les résultats de ces travaux par des publications, un site Internet, la rédaction de motions,
• de réaliser des études et de faire des propositions, et, chaque fois que ce sera possible, de les mettre en œuvre, par des actions ou par des expérimentations,
• de défendre les intérêts de ses membres contre tout préjudice résultant d’une atteinte à l’intérêt collectif qu’elle s’est donnée pour objet de défendre.

[4cf. l’entretien donné au webzine Automates intelligents

[5« Notre époque est menacée, dans le monde entier, par le fait que la vie de l’esprit a été intégralement soumise aux impératifs de l’économie de marché, c’est à dire à la loi de l’amortissement rapide, à travers la monopolisation des technologies de l’information et de la communication, dites aussi culturelles et cognitives, et qui forment le secteur de ce que nous appellerons ici des technologies de l’esprit ».

Or, ces technologies peuvent et doivent devenir un nouvel âge de l’esprit, un renouveau de la « vie de l’esprit ». Tandis que le modèle classique de la société industrielle paraît caduc, cet objectif doit constituer le motif d’une économie politique et industrielle de l’esprit - qui doit aussi être une écologie industrielle de l’esprit. »