Baleine (sur la page)
Il était là, comme échoué ce matin dans la librairie du Drugstore des Champs-Elysées, écrasé par les échafaudages du Da Vinci Code et de ses épigones. Tellement mince, ce livre, et au prix d’une place de cinéma. Une baleine sur la page... Pas la taille d’un cétacé ou de Moby Dick !
Paul Gadenne, le peu connu. Et puis, l’occasion pour Hubert Nyssen, d’Actes Sud, de fêter le 150e numéro de sa collection créée en 1995 : « un endroit où aller ».
Par exemple, oui, à la plage. « Je disais à Odile, en chemin, que la baleine achevait cet univers chaotique, secrètement accordé dans l’invisible, qu’elle était un monument posé sur le cataclysme européen. »
La nouvelle de Paul Gadenne fut publiée par Albert Camus dans sa revue Empédocle puis reprise chez Actes Sud en 1982. Son auteur (1907-1956) n’a pas connu ces éditions, il était né à Armentières (Nord).
« Ce crachat, cette traînée de pourriture apparue subitement sur une plage à nous familière, et que le regard devait d’abord chercher, nous comprenions que c’était un spectacle solennel. Nous n’aurions pas besoin de faire effort pour le graver en nous ; il y était inscrit depuis toujours, il était notre plus ancienne pensée. Et qu’étions-nous, nous qui regardions cela, êtres de hasard, imperceptibles, en proie aux astres, échoués sur les plages d’une Nature sans événements ?... »
Mais ces lignes fines sur le sable ne se laissent pas, une fois lues, effacer par la marée des futurs souvenirs : sur une étagère, on range alors l’armature de Baleine, définitivement à l’abri du ressac.