Benoît Vincent | Lait-de-poule
La friche, étymologiquement, est « la terre nouvellement conquise » (le plus souvent sur la forêt), un espace neuf (lat. novale, qu’on trouve en vieux français aussi), mais c’est aussi le lieu où se tiennent les foires, et c’est encore, au masculin, une sorte de chiendent (probablement Cynodon dactylon).
Pour qui la parcourt assidument, il apparaît que la friche est un espace ouvert, hyperdynamique et, c’est le moins qu’on puisse dire, délaissé.
Rives de fleuves oubliés avec leurs bras morts, carrières inondées, essarts, jachères, ouches, échangeurs et leurs cœurs de ganse ensauvagés, cours arrières et parkings, sorties de villes, constructions variées rendues au sauvage, la friche désigne beaucoup de choses et peu d’homme, son retrait ou son effacement : sa présence est une trace. C’est peut-être la raison pour laquelle, territoire de tous les possibles, la friche fascine à ce point nos contemporains : à ma manière d’une déité.
Je voudrais opposer ici l’esthétique propre de la friche aux mille plantes à cette incroyable fascination que provoque l’espace incertain des bords, tout en cherchant à démontrer que celle-ci dénature l’objet réel qu’elle prétend vouloir aimer.
Qui voudrait vivre sur l’île de la Conférence, entre le Teil et Montélimar, au milieux des espèces invasives (corbicules, tortue de Floride, black-bass, ragondins, robiniers, buddléias, érables négundos, asclépiades, myriophylles, jussies, ambroisies, vergerettes, etc.), entre les repaires de rencontres sexuelles fugaces, les utilitaires stationnés à vie des prostituées, les parcages des populations nomades, les cachettes à perfusion, et puis le fleuve, son canal, son contre-canal, le barrage, la base de loisir, puis les routes départementales, nationales et autoroutes, les voies ferrées locales et à grande vitesse, les centrales électriques, les centrales nucléaires ? La vie pourtant est bel et bien là, il n’est nullement question de le nier.
Grandes parcelles agricoles nourries aux limons du Rhône, recrûs spontanés et permanentes mégaphorbiaies, tas patients de granulats divers, retournements et laisses du fleuve, décharges sauvages, les terres sont diverses et nombreuses.
Ce qu’il s’agit de dénoncer, ou plutôt ce à quoi il s’agit de contrevenir, ce sont ces attendus partiaux, qui paraissent d’ailleurs eux-mêmes souvent embarrassés, et qui en viennent à justifier la légèreté politique qui perpétue et favorise ces lieux en leur conférant un statut pluridisciplinaire (éthnosociologique, politique, philosophique) dispersant.
Dispersant au sens où, sous couvert de louer les qualités de l’espace en particulier, ces attendus détournent l’attention à la fois sur leur faiblesse interne et sur les vraies questions que suppose la prolifération de ces espaces. En effet, les friches, avec toute la série des zones périphériques, ces lieux de la précarité et de l’inconfort, sont toujours plus nombreuses et croissent là où jadis il y avait de l’agriculture ou de la nature sauvage.
Il faut le voir pour le croire, il faut avoir grandi dans une région rurale où le principal bourg n’excède pas quelques milliers d’habitants pour constater, avec autant de dépit que d’agacement, que ce bourg, ainsi que tous ceux qui l’entourent, a grandi et grossi, et que tous ont grossi et grandi de manière anarchique, développant des périphéries sans finir, qui des zones artisanales, qui des zones commerciales, qui des zones résidentielles, de la suburbia de tous côtés, avec ses habituels excès de goudron, de béton, de voirie et de signalisations, de lumières et de bâtiments, la plupart du temps sans âme ni qualité (ou alors haute et environnementale), et bien souvent en malmenant diverses populations qui y étaient présentes ou en “grignotant” sur des espaces naturels ou agricoles [1].
L’accroissement des centres urbains (et pas forcément les grandes et très grandes villes — celles-ci ne sont que trois et elles semblent plutôt destinées à l’auto-effondrement ou à l’implosion, ou à la pétrification) n’a pourtant pas été anarchique, comme il peut apparaître à première vue : il a bel et bien été encadré, dans l’espèce de délire de réglementation et de normes toujours plus nombreuses, destinées précisément à la protection des zones de développement d’emploi, de loisir, de maintien des pratiques agricoles ou de préservations des « trames vertes et bleues » ou de la biodiversité, à la fois respectueux de l’environnement et des paysages et soucieux de conserver l’ « attractivité » du « bassin de vie [2] ».
Or le sujet est sensible. Le sujet est sensible car il oppose potentiellement les tenants d’un patrimoine “muséifié”, attachés à un catalogue immuable d’images d’Épinal, à un courant de réflexion plus proche de la socio-géographie, voire de la psycho-géographie chère aux situationnistes, qui fait feu de tout bois, y compris les friches et banlieues — chacun d’ailleurs agissant, à n’en pas douter, sincèrement et à bon escient.
Il n’est donc pas facile de le dire aussi crument : oui, la France est moche, elle a été amochée — avec notre consentement tacite. Mais pourquoi ? Comment ? Moche parce qu’on ne la reconnaît plus ? Ou moche parce qu’on ne la reconnaît que trop ?
Une première remarque ingénue invoquera le caractère rural de la France. À la différence de l’Italie par exemple, la France n’est pas un pays de cités. C’est un pays très largement agricole, ce qui explique sans doute la multiplication de petits bourgs, des villages et des hameaux, bref des fameuses trente-six mille communes qui, tels trente-six mille fromages dont nous pouvons nous enorgueillir avec raison, conduisent parfois à l’indigestion. Avant donc de constater le massacre esthétique (sur lequel nous reviendrons, afin de ne pas rester sur le seuil de la nostalgie revancharde), on constate surtout l’urbanisation des campagnes, produisant cet entre-deux bien connu sous le beau nom de “rurbain” [3]). Dès qu’elle affronte le vide, son contrariant, l’urbanisation semble perdre son sens commun.
Encore faut-il se défendre au mieux de toute tentation psychologisante. Comme le rappelle Marc Augé, Michel de Certeau distingue ainsi le lieu de l’espace, ce dernier étant un lieu pratiqué : « ce sont les marcheurs qui transforment en espace la rue géométriquement définie comme lieu par l’urbanisme » [4]. Dans un texte beaucoup plus récent (Augé écrit avant même les internets !), Claude Eveno rappelle tout ce que l’on doit aux subjectivités traversantes, de Benjamin à Michaux et insiste précisément sur cette intégration nostalgique, presque lyrique, du passant dans la ville chaotique contemporaine ou future [5]. Mais c’est précisément, dans cet écart entre l’interprétation personnelle de l’espace urbain et son propre déploiement que se déroule la joute dont nous voudrions rendre compte.
Ce qui apparaît aujourd’hui comme une fausse polémique est née il y a quelques années lorsque le “magazine télé” Télérama a publié un article à propos du livre, ou plutôt des livres de David Mangin, Infrastructures et formes de la ville contemporaine. La Ville franchisée et La Ville franchisée. Formes et structures de la ville contemporaine [6]. L’article [7], ou plutôt l’enquête, de Xavier de Jarcy et Vincent Remy, intitulée « Comment la France est devenue moche », revenait sur la création des zones pavillonnaires, commerciales et artisanales et les ronds-points qui ont poussé ces dernières années autour de nos centres urbains (jusqu’aux plus petits).
En réponse, l’anthropologue Eric Chauvier, « interpelé », a publié un petit (mais dense) texte intitulé Contre Télérama (2011), où il décrit sous la forme d’un journal de terrain (le terrain d’une zone pavillonnaire), organisé en index, les paroles, les pensées, les évènements, les gens et les objets qu’on y trouve ou qui y ont lieu. Écrit le plus souvent sous la forme d’un “nous” plus qu’ambigu, le livre est plein d’ironie. Au point qu’il m’a paru, parfois, manquer la cible qu’il se proposait d’atteindre.
(Notons d’autres soubresauts au débat : le 14 juillet 2014, le critique gastronomique Périco Légasse publie un entretien au Figaro en ligne : « Pourquoi la France est devenue moche [8] ? »
Quelques semaines plus tard, le 4 septembre 2014 l’émission Service public sur France Inter, aborde le même thème sous le titre « La France défigurée [9] », avec Éric Chauvier (malheureusement le format étriqué de telles émissions ne permet pas au débat de se développer à son aise).)
Je dois préciser dès l’abord que je me sens fort mal à l’aise pour parler du livre d’Éric Chauvier, et derrière celui-ci de ceux de Bruce Bégout, Suburbia [10], et de Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France [11].
Premièrement, je ne suis ni anthropologue, ni urbaniste, ni philosophe : les intuitions et les sentiments que j’ai, qui me mettent en marche, qui lancent la machine à écrire, sont très personnels, liés à mon attachement à l’habiter, lequel est redoublé, conforté, mis en perspective, par mon attention aux végétaux (les espèces) et aux végétations (les milieux naturels ou... habitats). Ensuite ce n’est sans doute pas le lieu, dans cette série, de proposer ce genre de lecture qui requiert plus d’attention encore [12].
Enfin la nature même de la friche est paradoxale : comme le dit Eric Chauvier, on est dans un entre-deux mal qualifiable et pourtant partout répandu, et on est tout aussi mal à l’aise pour y vivre que pour en parler. Bruce Bégout évoque-t-il le même sentiment lorsque dans son essai Dériville il parle de « ce mélange constant de volonté et d’abandon qui caractérise, comme une marque de fabrique, la littérature situationniste sur la ville » (94) ?
La littérature qui se passionne des matières géographique et urbaine [13] montre une certaine ambiguïté de positionnement qui m’est, par ricochet, problématique. Chez Bailly par exemple, ce qui éveilla tout ce texte peut-être, à partir du contestable chapitre intitulé « Culoz » : « Peut-être est-ce là, aujourd’hui, que se cache, loin des centres, et comme en exil au sein même du monde rural, la vraie banlieue [14] ». Tous se rendent à l’évidence du morne, de l’impersonnel, du standardisé caractère de la périphérie, mais, à des degrés divers, il se refusent, prétextant tour à tour un jugement de classe, un rêve bohème, un projet littéraire ou artistique, à l’attitude que David Mangin appelle de ses vœux (ou que j’interprète comme telle) dès l’ouverture de son ouvrage : « Décrire l’évidence. Regarder la vérité en face. Plus que du courage, c’est une exigence » (11).
Nombre de penseurs sont pris au piège d’une attitude complaisante à l’égard des marges, des monstres, de l’étrangeté et de l’étranger, de l’anormal et du rebelle, du nomade et du sauvage, de l’innommable ou de l’anomal. La faute en revient sans doute à la contre-culture qui en a érigé ces formes au rang de valeurs positive, sans toujours appréhender de manière détachée mais critique les ressorts à la fois épistémologiques et politiques que cela implique ; la contre-culture, canal où s’est engouffré le capitalisme avec succès (du rock à la bande-dessinée, du cinéma aux séries, jusqu’aux formes sociales ou politiques aussi diverses que les hippies, les Femen ou les hipsters) afin d’en faire ses armes, et même son arme favorite, opposant ainsi à toute critique le supplément d’âme culturel et progressiste.
Je ne voudrais pas polémiquer de manière hasardeuse avec les uns et les autres, mais plutôt mieux saisir ce que représente, tout d’abord à mes yeux, cette réaction à la périurbanisation et, par conséquent, à préciser cette colère politique qui, tout en ne se décrivant pas comme réactionnaire, ne parvient pas à s’abandonner tout à fait à l’idéal du progrès lorsque celui-ci signifie éradication des chaînes sociales et destruction des écosystèmes (complexe de flux biologiques et physico-chimiques), à la nomadisation lorsqu’elle signifie flexibilisation, à la dé-territorialisation lorsqu’elle devient libéralisme, globalisation et réification commerciale. Je réalise tout à coup que je lutte contre l’indistinction à tous les étages.
Il faudrait encore caractériser cette prétendue laideur de la banlieue — et sans doute celle-ci n’est pas la même selon les points de vue qui la dénoncent, et plusieurs sont possibles, s’opposent, se percutent : le point de vue patrimonial, le point de vue agricole, le point de vue politique nationaliste, réactionnaire, ou libéral, le point de vue du gestionnaire, de l’élu, du citoyen, le point de vue économique, le point de vue paysager [15], le point de vue naturaliste, et sans doute d’autres encore. Quelle position tenir ? Quelle serait l’approche, sinon la plus enviable, du moins la plus juste ? Mais de quelle justesse, de quelle justice, parle-t-on ici ? Doit-on la concevoir selon des considérations politiques ou économiques (l’emploi par exemple) ; environnementalistes (la destruction des paysages) ; idéologiques (la multiplication des zones commerciales) ? Où se situe l’intérêt général ? Où la traverse éthique à toutes ces questions ?
Il y quelques années, tout près du couvent des Trappistines de Maubec à Montélimar, il y avait une prairie où croissait une plante protégée au niveau régional, l’Ornithogale à fleurs penchées, ou Lait-de-poule, ou Honorius nutans.
La station était importante, elle ne passait pas inaperçue. Un projet urbain d’envergure, prévoyant cinq-mille nouveaux habitants, créa une école, un collège Marguerite-Duras, des services et des commerces sur (et autour de) cette station. Devant l’ampleur des travaux engagés, c’est-à-dire des contrats signés avec les entreprises et de la dynamique urbaine (la création d’une école, d’un collège, ce n’est pas rien !), la considération de la plante est passée secondaire.
Le visiteur, le citoyen ou le riverain (la douceur désuète de ce terme), le consommateur, et même l’ethnologue, peuvent aujourd’hui se promener dans le quartier (on hésite à dire ville) pratiquement terminé. Il y a une gendarmerie, des équipements sportifs, un lac, et très bientôt un « pôle commercial de proximité ». L’habitat du Lait-de-poule, en revanche, n’est plus visible ; il y a un petit lac artificiel en lieu et la place ; le lait-de-poule n’est plus visible non plus.
Je ne remets pas en question le fait qu’on habite dans ces quartiers résidentiels de villas toutes semblables, dites opportunément “provençales” ; on peut en avoir le désir — on n’en a pas toujours le choix [16]. On peut souhaiter s’y promener, pour les sophistications esthétiques qu’impriment les matériaux dans la lumière, pour les photographies abstraites qu’on en tirera, et qu’on pourra poster à loisir sur les réseaux sociaux en un geste artistique ou politique. On y décèlera des relations sociales, des élans créatifs, des mouvements citoyens.
On y trouvera des situations de vie, et même des situations de nature ; la lunette attentive, le scalpel effilé, bien évidemment, peuvent dégoter là matière à examen : c’est inévitable et bien usuel. Ce n’est pas parce que les lieux sont rudes que les humains n’y tissent pas leur complexe toile de relations, de paroles et de non-dits, de hauts-le-cœur et de vague-à-l’âme.
Disant cela toutefois, nous restons au milieu du gué. Il faut aller vers les causes mêmes du phénomène.
Lorsqu’un maire, en proie à des difficultés financières par exemple, souhaite augmenter les ressources de la commune qu’il administre, il se lancera dans une campagne de projets d’envergure, en l’occurrence la création de logements ou la création de zones artisanales ou commerciales (sources d’impôts directs locaux).
Quels motifs éthiques, qui tiennent compte de toutes les dimensions du problème, peut-on lui opposer ? J’en ai fait l’expérience, je la fais chaque fois que je mets le pied sur une terre à inventorier : aucun.
Peut-on opposer la dégradation des paysages à l’érosion de l’emploi ? Peut-on opposer la vie de quelques plantes ou de quelques mollusques, fussent-ils rares ou protégés, à celles de familles entières qui pourront vivre (habiter et se nourrir) et travailler, le cas échéant, à peu près au même endroit ?
Et peut-on opposer cela sans passer pour un perfide et rancunier conservateur, un frein au progrès, un réactionnaire de la pire espèce ? On pourra toujours essayer d’indiquer, chiffres à l’appui, les impacts négatifs de la zone en question sur la gestion de l’eau et des eaux usées, des déchets, sur les transports, sur le bruit et la lumière, sur l’imperméabilisation des sols, l’ « érosion de la biodiversité », la destruction des paysages donc et surtout la disparition de terres agricoles dans un contexte pétrolier plus qu’incertain (il faut du pétrole pour les engrais qui nourrissent nos terres désormais épuisées).
Sans les villages autour, qui ont d’ailleurs doublé en nombre du fait de la calamiteuse réforme territoriale qui a vu Montélimar engloutir une autre communauté de communes, la commune de Montélimar n’aurait que peu de moyens de survie alimentaire à moyen terme si la nécessité se présentait.
Pourtant tout est fait dans le cadre légal. Expropriation comme zonage. C’est même la plupart du temps au nom du développement durable, ce concept fourre-tout (qu’on remplacera bientôt par celui de transition écologique) que ces projets sont réalisés et, pire que tout, par le truchement de cette nouvelle vessie, la plus belle de toutes, peut-être : la démocratie participative. Les citoyens sont associés aux décisions : ils creusent eux-mêmes leur tombe. Sans infléchir rien des décisions qui dépassent malheureusement bien souvent les représentants en place, trop occupés à conserver leur poste coûte que coûte.
D’ailleurs tout cela se fait également au nom de l’intérêt général, notion floue sans réelle valeur constitutionnelle, et pourtant au cœur du droit public.
Ce qui est amusant, c’est que le Lait-de-poule, lui, vit précisément dans ce genres de milieux remaniés, et représentante [caractéristique] de l’alliance phytosociologique [du groupement de végétaux] du Gageo pratensis - Allion schoenoprasi, c’est-à-dire les friches vivaces rudérales pionnières mésoxérophiles [modérément chaudes] subméditerranéennes [pratiquement méditerranéennes]. C’est dire s’il y a de fortes chances qu’il réapparaisse un jour ou l’autre, sur les décombres des habitations qui auront sans doute, d’ici moins de cent ans, cédé sous le poids de leur propre médiocrité.
Ce texte, qui a nécessité une patiente et exigeante relecture de la part de Guénaël Boutouillet, pourra être développé, plus tard, et ailleurs, en proposant une lecture plus détaillée des livres cités, ce qui n’est pas le propos originel de la suite ici entreprise.
Benoît Vincent est botaniste et auteur. En 2012, il publie Farigoule Bastard. Il est membre actif du Général Instin et coanime la revue en ligne Hors-Sol. Son site :www.amboilati.org.
Benoit Vincent sur remue.net
[1] Il n’est pas loin le moment où ce constat, partagé par tous, il me semble, sera pourtant taxé de conservateur, voire de réactionnaire. J’en assume le risque. J’irai même plus loin : la destruction des chaînes sociales et des écosystèmes (y compris les agrosystèmes), on le reconnaît bien là, tel est l’apanage du capitalisme. Ainsi donc, ceux qui voudraient m’objecter une pensée “progressiste” en me taxant de réactionnaire (comme cela se produit régulièrement notamment de la part de ceux qui sont censés être des camarades), et comme à chaque fois que cela se produit, devraient d’abord faire les comptes de leur propre “libéralisme”. C’est-à-dire de leur propre aveuglement idéologique (si bien sûr, et plus particulièrement, ils se disent « de gauche »). Mais j’y reviendrai.
[2] Il existe de nombreux et divers documents d’urbanisme, dont le plus connu est le Plan Local d’Urbanisme (PLU), successeur du Plan d’Occupation des Sols (POS), le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT), successeur des Schémas directeurs (SD). C’est plus vrai encore depuis la loi “SRU” (Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains), amendée par les Grenelle I et II, et légèrement modifiée par la loi “ALUR” (Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové).
[3] Ce n’est pas un mal en soi que la ville se développe — sauf à ce qu’elle détruise des surfaces agricoles ou naturelles pour des raisons qui, je l’espère, sont évidentes à chacun (la déperdition des terres agricoles, dans un contexte de crise de la ressource en pétrole, est un véritable questionnement rarement abordé — on cite souvent à regret la perte de l’équivalent d’un département de terres agricoles tous les cinq à sept ans ; la destruction de la biodiversité, avec des chiffres alarmants de 50% d’ « érosion » d’ici 2050, est un autre épouvantail qu’on peine à réaliser et à prendre en considération). Ce qui interpelle ici est plutôt la nature des nouveaux équipements. Si la ville se reproduisait à l’identique, à la manière de ses quartiers “centraux” récupérés, tels que la Confluence à Lyon ou les XIIIe et XIXe arrondissements à Paris, elle ne suivrait que la biologie inhérente à l’organisme urbain tel qu’il existe depuis au moins le XIXe siècle : on pourrait opérer un regard critique, tant sur le plan de l’esthétique que de la fonctionnalité, et cela n’engagerait que celui qui porterait un tel jugement (fût-il non dénué de questionnements économiques, sociaux ou politiques, ces trois dimensions étant intimement liées. On pourrait par exemple facilement démontrer que ce sont les mêmes équipements à Paris ou à Lyon qui surgissent — il y a là une régularité tout à fait frappante, régularité qui (r)appelle furieusement une norme, estampillée JCDecaux — comme ailleurs Metro ou Promocash pour les restaurants, Sodexo pour les cantines, Monsanto pour les semences, McDonald’s, GoSport, Carrefour, Total, Hachette, etc. et toute forme de concentration dans tous les domaines.
[4] Non lieux. Introduction à lune anthropologie de la surmodernité, Le Seuil, 1992, p. 102.
[5] Histoires d’espaces, Sens & Tonka, 2011.
[6] Editions de la Villette, 2004 ; j’avoue que je n’ai pas encore compris la différence entre les deux.
[7] On trouve ici un article : http://www.telerama.fr/monde/comment-la-france-est-devenue-moche,52457.php ; je ne sais pas si c’est le même que le numéro 3135 incriminé.
[8] Disponible ici : http://www.lefigaro.fr/vox/culture/2014/07/14/31006-20140714ARTFIG00107-perico-legasse-pourquoi-la-france-est-devenue-moche.php. Je cite la fin : « “Notre bonne vieille mère la Terre” comme disait le général de Gaulle dans son discours de Bayeux en 1946 ne pourra pas supporter longtemps la forme de consommation qui régit l’humanité depuis trente ans. À ce train là, le parking c’est l’antichambre du cimetière. C’est un choix philosophique de civilisation. Je le redis, mourir riches et puissants en pleine croissance ou durer dans le bon sens décroissant ? Vaste débat. Moi j’ai ma réponse. »
[9] Disponible ici : http://www.franceinter.fr/emission-service-public-la-france-defiguree
[10] Inculte, 2013
[11] Le Seuil, 2011
[12] D’autres livres ont été convoqués : Projet El Pocero d’Anthony Poiraudeau (Inculte 2013), Un livre blanc et La conjuration de Philippe Vasset (Fayard, 2007 et 2013), London orbital (2002, trad. Inculte 2010) d’Iain Sainclair ou le projet Sacro Gra (http://www.sacrogra.it/) avec le livre de Nicolò Bassetti e Sapo Matteucciou (2013, trad. La Fosse aux Ours, 2015) et le film de Gianfranco Rosi. Ces développements, trop longs pour ce lieu, sont dérivés à plus tard.
[13] un genre d’itérologie comme disait Michel Butor ; Xavier Boissel parle d’exofiction, mais je ne suis pas certain qu’il s’agisse des mêmes présupposés : http://remue.net/spip.php?article7502
[14] Le dépaysement, p. 36. Contestable pour ses derniers paragraphes sur le « couple de musulmans intégristes, donc [...] »
[15] Un terme manque pour la science du paysage, proposons ici topiologie, du mot grec pour le dire ; un autre terme manque pour l’idéologie topiaire, topiariste ?
[16] J’ai pris en stop une dame, la soixantaine environ, qui revenait des courses avec deux sacs cabas “Ensemble, protégeons l’environnement” d’une marque célèbre de la grande distribution ; elle me disait que sans voiture et sans transport en commun, habiter là n’était pas pratique ; que d’ailleurs les bâtiments non plus n’étaient pas pratiques, qu’ils étaient mal isolés du bruit et du climat, mal finis, avec toute une série de grillages et de codes à retenir...