Brouillard
« L’homme n’est qu’une cassette à souvenirs », Jean-Claude Pirotte.
« La mémoire est tapissée de reflets trompeurs et de miroirs déformants. À mesure que l’on avance en âge, les reflets se brouillent et les miroirs se fêlent et s’obscurcissent. La mémoire, note Joubert, est le crible de l’oubli. »
La sienne le ramène aux années qui vont de 1957 à 1963. Il est alors étudiant, peu assidu, déjà marié et père d’une fillette qu’il doit (son mariage battant de l’aile) élever pratiquement seul. Plus tard, ce sont les grands-parents qui prendront la relève. Il vit dans une maison isolée où il rêve, lit, écrit. Ne sort que pour retrouver quelques types en sursis (Raymond, Frans, Carlo, Manu) avec lesquels il a récemment mené quelques virées et braquages nocturnes.
« Je suis de retour dans la maisonnette sous le grand chêne et je me convaincs de n’avoir ni épouse ni enfant. Ni ascendants, ni descendante. Rien ni personne susceptibles de constituer une entrave à l’existence que je m’étais promis de mener. Hors la loi, voilà qui me convenait. Dénué de chaîne et seul juge de mes actes. »
Le narrateur (appelons-le Pirotte) qui feuillette ses carnets d’époque, tandis que la maladie gagne et nécessite de fréquents séjours à l’hôpital, tente de se situer dans le brouillard du passé, dans le brouillon de ce début de vie où il s’est très vite retrouvé, presque par inadvertance, avec un tas de fils à la patte. S’affranchir d’un faux mariage, d’une paternité de hasard, d’un père honni, d’une famille bourgeoise et d’une bande de voyous locaux : voilà quelques uns des handicaps qu’il lui faudrait surmonter pour gagner enfin sa part de liberté.
« Ce vaudeville m’inspire, quand il ne me désespère pas. Où me suis-je donc fourré ? J’étais naïf au-delà de toute innocence. Et coupable. »
Comme toujours, Pirotte ne se cherche pas d’excuses. Il assume. Il gratte le vernis et appuie là où ça fait mal. Au cœur du réel. En filtrant juste ce qu’il faut (surtout ne pas s’épancher) pour récolter ce que celui-ci contient de romanesque. Et de tension, de douleur, de disparitions, de mal-être. Mais aussi d’incitations au départ, à l’errance, au voyage. Dans le temps, dans l’espace et dans les livres. Autrement dit partout où son écriture précise peut travailler, à la manière de cette araignée qu’il évoque au tout début du roman, pour tisser une toile discrète et lumineuse à l’intérieur de laquelle il ne cesse de se déplacer.
Jean-Claude Pirotte : Brouillard, Le Cherche midi.