Celle qui fut la bâtarde - Violette Leduc
« Pourquoi, lorsque je serai morte, aurait-on envie d’écrire ma biographie ? J’ai passé ma vie à ça »
Ceux qui ne connaissent pas les écrits de Violette Leduc, décédée en 1972, peuvent lire la quasi intégralité de ses textes chez Gallimard. Sauf Je hais les dormeurs paru aux éditions du Chemin de fer.
Ceux qui se voudront plus fouineurs pourront trouver sans mal chez les bouquinistes, la version poche de 1970 de la Bâtarde, son plus grand succès. A la vue de la couverture racoleuse d’une blonde diaphane sur fond rose cochon, ils comprendront mieux la méprise concernant l’oeuvre de Violette Leduc.
D’abord elle fut celle qui reçut le soutien financier de Jean-Paul Sartre et le soutien intellectuel de Simone de Beauvoir qui rapporte dans ses mémoires :
« Elle me remit un manuscrit. Des confidences de femme du monde, pensai-je. J’ouvris le cahier : Ma mère ne m’a jamais donné la main. Je lu d’une traite la moitié du récit ; il tournait court, soudain, la fin n’était qu’un remplissage. Je le dis à Violette Leduc : elle supprima les derniers chapitres et en écrivit d’autres qui valaient les premiers ; non seulement elle avait le don, mais elle savait travailler » [1] .
Violette Leduc écrit avec frénésie dans la confusion de sa vie privée et de son travail littéraire. Elle manie les mots comme sa propre chair et contraint la syntaxe à accueillir des phrases courtes qui brouillent l’espace temps. Des phrases en mouvement, comme l’auteur qui craint les corps à l’arrêt. Grâce à certains textes on peut d’ailleurs l’accompagner dans ses périples à travers Paris ou sur le chemin des Cévennes.
Elle traverse aussi de graves crises de persécution qui mettent à l’épreuve la patience de ses amis. La folie la ronge et l’écriture lui permet de ne pas chuter définitivement.
« Je sortais de mon lit trempée de larmes, je me pressais. Petits pas d’automate. Ventre rentré. Fesses serrées. Une allumette trottinait. La meute aux gencives sans dents ricanaient sur mes talons. Je m’arrêtais, tournais la tête du côté de l’oreiller. Mon déformé, mon avachis. » [2]
Le style et les obsessions de Violette Leduc nous rappellent celle des mystiques même si elle ne croit pas en Dieu. Cette façon de chercher la vie à tout prix, même dans la matière inanimée des objets :
« Je me suis agenouillée devant le dossier d’une petite chaise. J’ai pris le dossier dans mes bras. J’ai touché le bois ciré. Il est affable avec ma joue. Les bois est bon. Il a la mission de pourrir en même temps que nous . Mes larmes tombent sur la paille.
(...)
La rue morte ne veut pas de moi .je ne dérange pas les trottoirs. Je marche au milieu de la rue. Mes mains, qui ont faim, trouvent que mes poches sont petites ». [3]
L’on pense au Bernanos du Soleil de Satan : « le hurlement qu’elle pousse s’entend jusqu’à l’extrémité de la place, et le mur même en a frémi. »
Violette Leduc a d’ailleurs rédigé un portrait très sûr de l’auteur dans la Bâtarde : « Ses yeux : deux volcans dans leur plénitude. une présence opulente. Dès qu’il se taisait, c’était un Don Quichotte bien nourri, de taille moyenne, avec le même feu, avec la même tempête dans la tête. Il improvisait, en se souvenant. »
Violette Leduc est celle aussi qui décrit le quotidien d’une époque, notamment celle de l’après-guerre, sans s’inventer une figure héroïque, bien au contraire. Elle raconte dans le détail son plaisir et son excitation à vivre du marché noir. Une sale besogne dont elle nous cache rien.
Elle nous surprend encore comme dans le troublant et dérangeant livre Le Taxi, un texte court , le moins connu de Violette Leduc. Le plus éloigné aussi de ses écrits d’autofiction. Sous forme de dialogue, sans aucune référence narrative ou didascalie, un frère et une soeur donne cours à leur désir mutuel, à l’abri dans un taxi.
« Ne parlons pas. J’ouvre ma bouche. Je veux avoir ton silence dans ma bouche ».
Et tant pis si son rapport au corps déplaît comme pour ce journaliste qui dans le Cahier des Saisons après la lecture de Thérèse et Isabelle, écrivait : J’ai cru que j’allais me noyer dans ces flots de salive…
Le mot d’hystérie revient souvent dans les critiques concernant son travail. Mais comme souvent quand les femmes quittent l’icône et dévoilent la chair et le sang de leur corps.
Il est vrai les textes de Violette Leduc peuvent effaroucher les esprits secs, mais qu’ils lui fassent l’aumône de l’écrire bien :
« Je soulevai ses bras, je mâchai le foin dans ses aisselles. je léchais, je mordillais, je mangeais. Amertume, acidité, douceur, vigueur, disgrâce, tu es homme.
(...)
Cette couille dans la nuit de mes yeux, une figue fraîche violacée, peinte avec du givre, ornée de sa goutte de sucre. Je la soupèse, je la remue, je la flatte, je l’écrase un peu contre la fesses. »
Dans sa correspondance publié en début d’été, la maladie et la solitude morale de Violette Leduc sont encore plus tangibles. Avant d’être matière à écriture, elles sont un quotidien difficile à vivre et à un ami elle confie :
« Je crève d’isolement, de privations pour mon cœur et mon bas-ventre et d’autre part je ne puis supporter longtemps une présence humaine n’ayant pas suffisamment d’équilibre nerveux (..) Il y a ceux qui dorment et qui ne dorment pas (je suis parmi les seconds). Enfin il y a ceux qui ne jappent jamais et ceux qui jappent toujours à cause du physiologique. Je suis très fatiguée. »
Correspondance où l’on découvre une femme qui lit (Jean Genet, Raymond Carver ou encore Maurice Blanchot) et sait regarder la peinture. Elle décrit avec assurance une exposition de Toulouse Lautrec à l’Orangerie :
« Le ciel dans ce tableau est fameusement brassé. Le touches de vermillon ne sont pas miraculeuses, élégantes comme celles de Van Gogh. »
Les livres de Violette Leduc nous permettent d’entrer dans l’intimité d’un travail littéraire car elle y fait souvent référence et cette fois encore, l’omniprésence de la folie et de la solitude :
« Assise à ma table, j’essaie d’écrire. Pendant que j’essaie, je me délivre laborieusement et innocemment de mon incapacité d’écrire bien. Ma plume grince. Je gémis avec elle. Nous gémissons pour rien. Nous formons ensemble des mots inutiles. J’ai honte d’infliger ce travail à ce petit objet capable. Pendant que je m’efforce, je trace la voie à mes impossibilités et je les oublie. Ce paragraphe les représente. Je ressemble à une personne qui se croit puissante quand elle lance de la poussière en l’air. Cette poussière retombe sur sa chevelure. Mes impossibilités retombent sur cette page. Plus je m’efforce, plus je crois que je travaille bien, plus je m’égare, plus je me drogue avec mon effort. Capables et incapables d’écrire, nous suons de la même sueur. L’effort est un faux frère. » [4]
Et l’on pourra entendre la correspondance de Violette Leduc à Manosque.
Fabienne Swiatly - 7 septembre 2007
Pour en savoir plus le site : www.violetteleduc.com