Chevillard à l’oreille

 sommaire des chroniques de Vincent Josse sur France Inter

 site Eric Chevillard

 L’Oreille rouge sur site éditions de Minuit


Vincent Josse / Chronique du 10 février 2005

Vous connaissez les résidences d’écrivains ?

Régulièrement, des institutions offrent aux auteurs un lieu d’accueil, du temps et de l’argent pour qu’ils se consacrent à un projet. C’est le cas de la Villa Médicis, à Rome.

L’écrivain dont il est question ici vit en Bretagne. Il vient de recevoir une invitation à séjourner et écrire au Mali. D’autres sauteraient de joie, mais lui est consterné. Peur de quitter sa chambre, sa table, au point d’inventer mille et un prétextes pour ne pas quitter sa Bretagne et repousser le voyage. "L’Afrique ? Il se verrait plus naturellement accoucher de onze chiots".

La mauvaise foi qu’il déploie est un régal. "C’est un pleutre", écrit Chevillard. Son roman est drôle, certes, mais en plus de l’humour qui traverse le roman, on est frappé d’emblée par la langue, superbe et le rythme des phrases. C’est fin et vif. Le roman prend alors une tournure incongrue et absurde. Comment échapper au voyage ? En l’inventant de toutes pièces, de sa chambre. Le personnage se saisit d’un petit "carnet de moleskine noir", et voyage avec sa tête et son crayon. Il se donne pour nom "Oreille rouge" et décrit son Mali adoptif, la savane, avec moulte images et faux proverbes africains, du genre : "le jour, tous les blancs se ressemblent".

Preuve que l’Afrique, "on y séjourne très bien en imagination". Le roman "Oreille rouge" est un avion qui s’envole. Il y a un véritable élan. C’est un vrai faux récit de voyage. Peut-être même une volonté très nette de mettre en boîte les écrivains voyageurs qui ont tendance à croire impérissable leur prose sur l’ailleurs. Le garçon est moqueur mais pas seulement ; il y a dans sa description de l’Afrique, une spontanéité et une poésie de chaque instant.

Puis on pourrait dire que l’avion atterrit, car l’écrivain range son carnet et fait comme s’il était vraiment parti, faussement baroudeur. "Quand il croise un Noir dans la rue, il lui adresse un petit sourire de connivence". Pas de cynisme dans la démarche du romancier, beaucoup d’habileté, celle d’un sale gosse qui détourne les conventions littéraires pour en inventer d’autres. Sur son carnet de notes, à l’école, on a peut-être écrit ce commentaire, un jour : "Elève insolent, mais très doué".

26 février 2005
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