Cosima Weiter | Je n’ai rien vu à Fukushima
Je n’ai rien vu à Fukushima
Personne n’a disparu
Pas de mort ici
Sur l’écran les gens courent devant la vague montante. L’image tremblote
Les réacteurs explosent.
Je ne vois rien, je ne sais rien. Je trace sur le papier un cercle presque parfait
J’écris à mes amis de Tokyo, d’Osaka
Partez. Fuyez le plus loin possible
Gaman. Nous restons, répondent mes amis et je n’écris plus rien
On ne mange plus d’épinards.
Le lait on le jette après après avoir soulagé les vaches aux pis gonflés
On donne aux gens l’autorisation de retourner chez eux afin de récupérer quelques objets précieux qu’ils ont laissés derrière eux lorsqu’ils ont fui.
Une personne par famille, 20 minutes. Gaman.
En haut sur la droite du cercle je fais une petite croix : c’est là.
Bientôt on tue les vaches.
Les chiens errent dans les décombres fous de faim.
Je ne les vois pas.
Je décide de ne plus boire de thé vert importé du Japon.
Les enfants retournent à l’école, on a râclé le sol pour ôter les substances radioactives qui se sont déposées dans la cour de récréation. On décide finalement que les enfants joueront à l’intérieur.
Je fais pivoter la feuille d’un quart de tour. Je fais une nouvelle croix en haut à droite. C’est là aussi.
Les premiers symptômes remarqués chez les enfants et les personnes fragiles sont des saignements de nez, des maux de gorge persistants et des coliques.
Une fatigue dont le sommeil ne peut venir à bout.
Gaman.
Je tourne la feuille encore une fois et j’ajoute une croix.
D’ici quelques semaines, si ce n’est pas déjà la cas on pourra remarquer une hausse sensible des cas de cancer de la thyroïde. D’autres cancers aussi, et des malformations plus fréquentes chez les nourrissons.
Toujours dans le sens des aiguilles d’une montre, je tourne la feuille et j’ajoute des croix dans le cercle.
C’est là partout.
Je n’ai rien vu à Fukushima.
Poète sonore, Cosima Weiter est née à Lyon en 1973, après des études littéraires, elle suit une formation de composition électroacoustique à l’ENM de Villeurbanne dans la classe de Bernard Fort. Elle développe dans le même temps un travail de poésie sonore dans lequel elle mêle son fixé et voix livrée en direct. Elle fait partie de la revue BoXon depuis 2001. Elle écrit en français et en allemand, inventant un langage à mi-chemin entre ses deux langues de prédilection. En tant que poète sonore elle donne régulièrement lecture des ses travaux en France, en Suisse et en Allemagne, notamment aux Instants chavirés à Montreuil, au Palais de Tokyo à Paris, à la Villa Gillet et aux Subsistances à Lyon, à la Cave 12 à Genève et à l’Institut français de Berlin... (biographie extraite du site de la Compagnie_avec).