Cultivez votre tempête, d’Olivier Py
Cultivez votre tempête d’Olivier Py vient de paraître dans la collection « Apprendre » des éditions Actes Sud-Papiers, avec une préface de Donatien Grau.
Qu’est-ce que le destin ? Pour Eschyle, le plus ancien des poètes dramatiques, c’est beaucoup et c’est peu. Les dieux décident, les dieux exigent, mais l’homme y peut-il quelque chose ? La réponse tragique devrait être non. Le poète tragique, pourtant, dit oui. L’homme peut au moins formuler son destin. Le cours de l’histoire, il ne le change que dans la mesure où il en a les droits d’auteur. Les dieux ordonnent, mais le héros tragique a négocié une part de liberté. Cette part de liberté, c’est le droit de raconter, de dire, de chanter son histoire. Pour Eschyle, ce n’est pas que symbolique. La violence de la nécessité qui n’a pas été déposée au niveau individuel le sera dans le collectif, le sera pour les générations qui viennent. Si je formule bien, l’histoire sera changée, le destin infléchi dans une dimension plus vaste que l’anecdote individuelle. Ce serait beau de faire entendre ça à ceux qui se sont crus enfermés dans leur propre anecdote, isolés dans leur identité, démunis dans la solitude du consommateur, à ceux que des dieux qui sont aujourd’hui le conditionnement social ont privés de destin. Oui, le salut est dans le collectif et l’éternité dans la transmission.
La parole adressée est le rivage du destin, elle confond le corps et l’esprit et définit une commune présence (« La parole comme présence à soi et au monde », p. 42).
Dans l’œuvre d’Olivier Py, il n’y a pas lieu de distinguer d’un côté l’écriture des textes qui seront portés sur une scène par la voix et le corps des acteurs, de l’autre des textes destinés à expliquer et convaincre de son engagement artistique. Son engagement c’est l’ensemble de son travail, pièces de théâtre, mises en scène (théâtre, opéra, cinéma), récitals de chant (Miss Knife), direction d’un théâtre (CDN d’Orléans, Odéon-Théâtre de l’Europe), interventions publiques. La même parole, la même présence s’y expriment.
Cultivez votre tempête rassemble trois textes de commande et un texte inédit, tous écrits à partir de son expérience et de sa pratique théâtrales.
Le texte sur l’art a été commandé et publié par le MAC/VAL en 2006 à l’occasion du colloque L’art peut-il se passer de commentaire(s) ?
Le texte sur l’éducation est la leçon inaugurale prononcée le 4 décembre 2009 au TNP de Villeurbanne, à l’occasion du séminaire national « Enseigner le théâtre au collège et au lycée aujourd’hui ».
Le texte sur le politique a été écrit pour le parti socialiste le 7 avril 2010 et lu le 28 octobre 2010 à La Rochelle pendant l’université d’été de ce parti.
Leurs sous-titres formuleraient les arguments d’une nouvelle trilogie qu’on imagine donnée en 2014 au festival d’Avignon.
De l’art : « Évangile des enfants sans père » ou Comment une époque qui privilégie la rencontre avec l’artiste plutôt qu’avec son œuvre prend le risque d’abolir l’œuvre comme proposition d’un dialogue et lieu d’un partage.
De l’éducation : « La parole comme présence à soi et au monde » ou Comment la chaise placée sur une scène de théâtre a une fonction de signe autour duquel peuvent se construire les récits du destin et de l’histoire, faisant entendre chacune des voix qui constituent l’assemblée en commun.
Du politique : « Pour une architecture de l’espérance » ou Comment, si la culture est ouverture à la parole et au sens, c’est bien le politique qui est une création de la culture et non l’inverse.
Comment intituler cette trilogie ?
Peut-être « Dans le ciel étoilé de l’universalisme », titre du texte inédit qui conclut le recueil en réintroduisant la notion du sublime selon Kant dans le monde contemporain :
Le sens qui vient n’est pas un sens qui va, il ne s’agit pas d’inféoder les œuvres au sens politique, historique ou moral. Le sens de Guernica n’est pas d’être « contre la guerre » ou de dénoncer la violence fasciste, le pacifisme n’a pas besoin de Guernica. Le sens de Guernica c’est Guernica, le tableau de Picasso reconstruit une possibilité d’être au monde alors même que le monde est fragmenté, bombardé, défiguré et méconnaissable. Le sens de Guernica c’est la reconstruction de l’unité brisée par le malheur, ce n’est pas une déploration, c’est au contraire un manifeste de vie. Bien que défiguré par la violence fasciste, le monde reste monde et sa beauté n’est pas essentiellement atteinte par les bombardements. Il faut alors s’écrier avec Heiner Müller dans La Mission : « J’ai peur de la beauté du monde. » C’est le scandale de cette beauté qui combat le totalitarisme et qui lui survit.
Photo d’Alain Fonteray © : Prométhée enchaîné d’Eschyle, texte français, adaptation et mise en scène d’Olivier Py, avec Céline Chéenne, Xavier Gallais et Olivier Py (Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, 14-19 février 2012).