Dans la maison des mots…

Dans la maison des mots on joue à l’infini parlant. Et c’est à qui perd gagne : rien de moins qu’un grand jeu - « primitif, sauvage, antique, réaliste », comme disait Daumal. Quelques Orphées, animés d’une fièvre rigoureuse, y bivouaquent, diversifiant les sources, revivifiant les souffles. Ils entendent donner à lire leurs alliés substantiels. Passeurs de mots pour des livres-miroirs. Des livres funambules. Pour ouvrir un espace aimanté - vivant, vibrant - loin du renfermé et du manufacturé. Pour révéler le vrai cœur de la planète, comme les derniers des Mohicans. Des livres-précipités, qu’ils dédient à toutes les réactions en chaînes. Pour irriguer le réel dans une époque vouée à l’hypnose. Pour préparer l’intelligence à venir. Pour refuser la platitude du sens convenu. Des livres qu’ils veulent habités par cette qualité de « distance sans mesure » dont parle Mandelstam. Des livres qui, comme les moulins à prière, n’arrêteraient jamais le cours de la parole. Pour la persistance du souffle dans une inhumanité croissante. Pour fixer des vertiges, comme un réflexe de survie. Pour saluer les anges et les dépossédés. Des livres de chair et de chant. Des livres pour dire l’impossible, et un peu plus.


Zéno Bianu, texte pour célébrer les éditions Jean-Michel Place, Crest, avril 2001.

25 août 2008
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