Dominique Fabre | Par où est-il passé le reste du silence ?
Par où est-il passé le reste du silence ?
par Dominique Fabre
Par où est-il passé le reste du silence ? je n’en ai vraiment aucune idée. Avec Réjean Ducharme on apprend qu’il est autour de nous, sur des miles et des miles, mais en tout cas à la librairie Québécoise, peut-être que le type a bien entendu quelque chose, si jamais on lui a fourni des oreilles magiques ou s’il a des dons de divination, ce qui ne m’étonnerait pas plus que ça, passé un certain âge, on a tous des visions. C’est le trop plein de vies et de mémoire qui sort. Avant, c’est seulement quand on fait la sieste à la crèche, ou tout petit enfant. Il y avait pas mal de gens autour de Réjean Ducharme absent à la librairie québécoise, des jolies filles aussi, quelques visages amis, Hélène m’avait donné rendez-vous dans un café pas loin avant pour qu’on se mette d’accord mais je m’étais trompé de station de métro. Je suis arrivé en retard. Réjean Ducharme est bien le genre à sortir son plan, je me suis dit, je le voyais avec une sorte de veste rouge en matière moderniste et probablement des lunettes de haute montagne autour d’une chaîne, mais bon, je ne sais pas pourquoi, on se fait les photos qu’on peut, et puis j’étais bien stressé déjà de m’être trompé de métro. C’est le geste de l’acte manqué. Les freudiens touchent tous le dur chômage de la vie dans le monde entier sauf en quelques endroits comme Paris, New York et Buenos Aires, donc mon acte manqué, fut un temps où, il aurait été intéressant d’en papoter alentour, mais bref, là, dans le métro, j’imaginais que Réjean avait affaire à Paris et se retrouvait parmi nous incognito à la librairie Québécoise, et puis, à un moment, n’y tenant plus pour une raison indépendante de nos volontés, soit il mettait les bouts en claquant la porte ; soit au contraire, pour se faire mousser et satisfaire une soif d’anonymat jamais rassasiée, il se mettait à poser à Hélène et à moi des questions tordues sur son œuvre. Nous donnons notre langue au chat. Bon, on fait quoi maintenant ?
C’est que Réjean est froissable facilement, à mon avis, Hélène me l’avait suggéré et je suis d’accord même si on l’imagine en grand mec baraqué avec un cœur ad hoc, grand comme ça. On parle peu de la sensibilité des hommes, lorsqu’ils le sont en tout cas. Elle leur donne parfois un air de vieil enfant têtu, ou gâté, ou de furieux, ils ont toujours besoin de preuves, comme quand on entend dire qu’il n’y a pas d’amour, l’amour n’existe pas, mais seulement les preuves d’amour. En attendant, ou sans plus les attendre, avec Hélène on a parlé de ces livres passés en entier à l’attendre, qui revient ou pas, qui n’a jamais été là, à l’écouter se déliter, en ravaudant dans les baraques, en bricolant pour des dollars qui sont durs à gagner, à compter, en faisant des montagnes de trésors inutiles comme les tas d’habits pas encore triés dans les Guérisol et les arrivages d’Emmaus, il adore raconter tout ça. Sa langue aussi, à Réjean, il en a fait des coutures, et des reprises pour la mettre en bon état de marche, pour pouvoir tout raconter. Hélène m’a dit qu’il s’en est pris plein la tête par certain(e)s collègues, au Québec certains en avaient marre de sa statue, de sa stature, et peut-être que, là c’est moi qui l’invente encore, comme sa veste rouge genre kevlar pour la montagne et les grands froids et ses grosses chaussures cloutées, marre de son anonymat ? Réjean, ressemble enfin à quelqu’un quelque chose, à un auteur québécois qu’on connaît, tenez, le vlà, il habite là !
Et puis non. Fuck it. Tiens bon, jeune homme, laisse-les aimer ou haïr le beau vieillard que tu ne manqueras pas de devenir, tu auras une barbe fleurie et ton enfance brille déjà bien plus que la leur, moi je dis ça comme ça. Peut-être même que tu t’en tapes, Réjean, chaque jour un peu plus, ou plus loin, et lent. Ca a été une bonne soirée, grâce à toi. Merci Hélène, merci les libraires, merci Ducharme de nous avoir un peu rapprochés, nous tous, rue Gay-Lussac (ne pas descendre à Jussieu pour s’y rendre). Mais bon dieu, où ça ?
C’est que Réjean est froissable facilement, à mon avis, Hélène me l’avait suggéré et je suis d’accord même si on l’imagine en grand mec baraqué avec un cœur ad hoc, grand comme ça. On parle peu de la sensibilité des hommes, lorsqu’ils le sont en tout cas. Elle leur donne parfois un air de vieil enfant têtu, ou gâté, ou de furieux, ils ont toujours besoin de preuves, comme quand on entend dire qu’il n’y a pas d’amour, l’amour n’existe pas, mais seulement les preuves d’amour. En attendant, ou sans plus les attendre, avec Hélène on a parlé de ces livres passés en entier à l’attendre, qui revient ou pas, qui n’a jamais été là, à l’écouter se déliter, en ravaudant dans les baraques, en bricolant pour des dollars qui sont durs à gagner, à compter, en faisant des montagnes de trésors inutiles comme les tas d’habits pas encore triés dans les Guérisol et les arrivages d’Emmaus, il adore raconter tout ça. Sa langue aussi, à Réjean, il en a fait des coutures, et des reprises pour la mettre en bon état de marche, pour pouvoir tout raconter. Hélène m’a dit qu’il s’en est pris plein la tête par certain(e)s collègues, au Québec certains en avaient marre de sa statue, de sa stature, et peut-être que, là c’est moi qui l’invente encore, comme sa veste rouge genre kevlar pour la montagne et les grands froids et ses grosses chaussures cloutées, marre de son anonymat ? Réjean, ressemble enfin à quelqu’un quelque chose, à un auteur québécois qu’on connaît, tenez, le vlà, il habite là !
Et puis non. Fuck it. Tiens bon, jeune homme, laisse-les aimer ou haïr le beau vieillard que tu ne manqueras pas de devenir, tu auras une barbe fleurie et ton enfance brille déjà bien plus que la leur, moi je dis ça comme ça. Peut-être même que tu t’en tapes, Réjean, chaque jour un peu plus, ou plus loin, et lent. Ca a été une bonne soirée, grâce à toi. Merci Hélène, merci les libraires, merci Ducharme de nous avoir un peu rapprochés, nous tous, rue Gay-Lussac (ne pas descendre à Jussieu pour s’y rendre). Mais bon dieu, où ça ?
18 février 2015