Élise et Lise
« Un conte sans fées » de Philippe Annocque
« Quand elle repense à cette scène, quand elle la reconstruit dans sa mémoire insuffisante, elle entend toujours Élise se présenter la première, "Élise", et Lise ensuite dire "Lise", et ça fait comme un écho. Mais Sarah sait bien qu’elle imagine, parce qu’en réalité elle ne se souvient plus. »
À partir de ce jour, les deux jeunes filles ne vont plus se quitter. Elles vont habiter le même deux pièces, s’échanger leurs vêtements, partir en week-end ensemble chez les parents d’Élise. Celle-ci a pris d’emblée, et sans le vouloir, l’ascendant sur celle qui veut lui ressembler, glaner quelques traits de sa personnalité pour s’inventer une histoire qui ne débuterait qu’à l’instant où elles sont devenues amies.
« Lise profitait de l’absence d’Élise pour entrer dans cette jupe à carreaux, cette chemise en jean, cette robe à pois, ce petit haut à bretelles. Elle y entrait et y entrer c’était comme entrer dans un autre monde, un monde où Lise n’existait pas et où il n’y avait plus qu’Élise. »
C’est ce mimétisme que Philippe Annocque décrit. Il semble avancer avec une certaine nonchalance mais construit en réalité un roman bien charpenté, conçu tel un conte résolument ancré dans l’époque. Il passe d’un personnage l’autre, les éclaire à tour de rôle, précise d’un mot, d’une phrase, la fragilité de Lise et la liberté assumée d’Élise, le tout ponctué par les interventions de Sarah qui, sans s’éloigner tout à fait, est totalement accaparée par l’étude, la signification et les diverses interprétations des contes.
« Les contes sont des organismes vivants qui vivent leur vie à travers nous. L’individu est sans pouvoir sur eux. »
Un autre personnage apparaît bientôt. Il s’installe durablement. Il s’appelle Luc. C’est « le garçon qu’Élise leur avait trouvée ». C’est Lise qui pense ainsi. Heureuse de savoir son amie heureuse, elle sera triste quand l’histoire se terminera, plus triste encore que celle qui vient d’être quittée
Élise et Lise est un conte subtil, empli de fraîcheur et d’envie de vivre, qui peut facilement basculer. Les thèmes abordés, sans jamais être nommés, (le besoin – pour Lise – de se conformer, de paraître, de devenir le double, la copie de celle qui la fascine et le risque - qui la guette - de se perdre ou d’usurper une identité) s’avèrent si déstabilisants qu’on se dit parfois qu’il suffirait d’un rien pour que l’histoire prenne soudain une tournure différente, chavirant dans le rude, l’effroi, la dureté. Philippe Annocque s’en garde bien. Il maîtrise son sujet à la perfection. Il sait où il veut nous mener. Et maintient, pour cela, une tension élevée jusqu’au bout. Jusqu’à cette ultime fenêtre, grande ouverte, sur laquelle se termine le livre.
Philippe Annocque : Élise et Lise, Quidam éditeur.