Eric Houser | In statu nascendi

Note de lecture de Ça et pas ça de Pierre Le Pillouër.

 

Dans son dernier livre Pierre Le Pillouër propose quelque chose à quoi peu osent se risquer, parce que cela montre l’écriture non pas comme un « produit fini », mais plutôt comme une production en train de se faire, et en plus, comme saisie dans le moment de sa plus grande incertitude. Je fais le lien ici avec le fait que PLP, avant Sitaudis, a été de TXT (nos seventies eighties). Pourquoi ? Évidemment parce que le trigramme (qui est un joli palindrome, en forme de calvaire) désigne un lieu, un champ où des choses se sont expérimentées dans l’écriture, à l’époque on disait beaucoup, barthésiennement : le texte. De cela, de cette aventure, PLP est le digne héritier.

Ça et pas ça, c’est donc (et explicitement) ce que PLP situe comme une collection (je préfère le mot « collection » au mot « recueil ») de visions et d’auditions « issues de l’état de demi-conscience qui se dissipe vite dans le sommeil ou dans le retour à la norme ». Pas des récits de rêves, pas des rêveries diurnes, mais des choses qui seraient plutôt comme des noyaux narratifs pas développés, à l’instant où la bulle éclate (juste avant, ou juste après). Juste (à peine) une image, juste (à peine) un fragment de dialogue, du côté du phatique parfois. Déterminé dans l’indétermination.

Visions et auditions, parce qu’on a en effet les deux, dans chaque texte. La vision : des phrases ou bouts de phrases souvent nominales, ekphrasis lacunaire qui fait voir une scène, un détail (« On dirait Polanski très jeune très blond / rougeaud, ivre, heureux »). L’audition, emphatiquement marquée par, en capitales, LA VOIX DIT, suivi d’un court texte en italiques souvent sous forme de bribes, de brimborions presque pas formulés. Décousus. Les deux séries, donc, alternées dans chaque texte.

L’effet à la lecture, justement c’est ici que le titre (très beau titre) prend sens, l’effet est que c’est « ça et pas ça ». À propos de cette heureuse formule, je dirais qu’elle renvoie aussi à ces nombreux moments, en psychanalyse, où l’on pourrait dire (où l’on dit, d’ailleurs), à propos d’une interprétation par exemple, que c’est « ça et pas ça ». En quoi cela est-il précieux ? Dans ce livre, selon moi, c’est précieux parce que cela montre quelque chose de l’écriture (si l’on accepte l’idée que l’écriture est un état, un état du verbe – au sens large de ce mot – qui nous met à part du discours courant, et qui se faisant donne un espace – une « zone », écrit PLP - pour penser la relation, aux choses, aux êtres, de manière critique : « lutte contre les processus et les tentations de l’effacement »), quelque chose comme une fonction de mise à distance et d’évaluation. Il est vital que des écrivains, des poètes, des éditeurs permettent encore à de tels espaces d’exister.

La poésie est cette chance (cette gloire).

 

Pierre Le Pillouër, Ça et pas ça, Le bleu du ciel 2015, 128 pages, 15 €

17 juin 2015
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