Hommage à Jean Vodaine

Poète, peintre, éditeur et typographe, Jean Vodaine est mort durant l’été.


La nouvelle a mis du temps à venir. C’est Jacques Morin, dans le n° 131 de sa revue (au long cours) Décharge, qui la porte jusqu’ici. Jean Vodaine est mort au début du mois d’août dans une maison de retraite de Pont-à-Mousson. Ce nom parlera peu à certains mais beaucoup à ceux qui s’intéressent de près au monde des revues de poésie. Il en a créé plusieurs à lui tout seul, de La Tour aux puces (8 numéros de 1958 à 1962) à Dire (première série, 7 numéros de 1962 à 1964, et seconde série, 44 numéros de 1964 à 1984).

Vodaine, né Vladimir Kaucic en 1921 à Volce, en Slovénie, est venu très jeune (à trois ans) en Moselle minière. Il n’obtiendra pourtant la nationalité française qu’en 1985.

« Mes parents ont émigré pour des raisons économiques. Et c’est devenu une raison politique parce que, pour garder son atelier, on obligeait mon père à adhérer au parti fasciste. »

Après avoir passé son certificat d’études, il obtient son C.A.P. de cordonnier (le métier de son père) mais, faute de travail, doit s’embaucher comme manœuvre aux hauts fourneaux de Thionville. En 1947, il publie son premier recueil de poèmes, Rose et noir puis, achetant une petite presse, commence à imprimer les textes des autres, notamment ceux de Gaston Chaissac qu’il rencontre en 1949. Le premier n° de Dire lui sera d’ailleurs consacré. Dubuffet, Tzara, Delteil, Ginsberg, De Richaud, Queneau et bien d’autres figureront au sommaire des livraisons à venir. Parallèlement, Vodaine compose (en y ajoutant souvent ses propres gravures) des livres à tirages limités où l’on retrouve, à côté des auteurs déjà cités, Follain, Béalu, Durrell, Hellens et de plus jeunes, tels Christian Hubin (En marge du poème, 1972) ou Marie-Claire Bancquart (Mais..., 1969) qui publient parfois là leurs premiers textes. Nombre de ces ouvrages (rares) se trouvent à la bibliothèque municipale de Metz.

Au-delà de son activité d’éditeur et de typographe, Vodaine n’aura cessé, durant cinquante ans, de peindre et de graver. « Ma peinture est d’origine barbare », disait-il en parlant des symboles et des signes qu’il utilisait et déformait en ne mélangeant jamais les couleurs sur la palette et en multipliant les petits points capables de donner différents effets optiques à chaque tableau.

Pour aller à la rencontre de l’homme, de l’écrivain, du peintre, du graveur, du revuiste qui vient de nous quitter, on ne peut que suggérer une escapade à destination du n° 57/58 de la revue Plein chant où Joe Ryczko a su rassembler et présenter, en 1995, un ensemble de qualité tout entier dédié au défricheur de Baslieux (commune située près de Longwy).
Pour poursuivre l’indispensable balade, aller ensuite à la découverte de la revue Travers (10, rue des Jardins, 70220 Fougerolles) qui a donné à lire, dans son cinquantième numéro, les Contes de mon haut-fourneau de Vodaine. On y découvre une autre facette du créateur : sa facilité à jongler entre quotidien (terre à terre) et fiction en inventant des contes humbles, subtils, féroces, rieurs et combatifs, écrits en hommage à ses frères jetés d’Algange, de Knutange, de Thionville, d’Hagondange ou d’Hayange.

Ajoutons enfin que Joe Ryczko, le concepteur du numéro de Plein chant, a publié il y a quelques années, à l’enseigne des Friches de l’Art (2, impasse des Hortensias, 33500 Libourne), Baslieux et autres lieux, petit livre de 48 pages imprimé sur papier kraft et destiné à tous « les aficionados de l’art modeste ». Il s’agit, me semble-t-il, du dernier livre de Vodaine... En attendant, plus tard, Les Chants de Yutz. Ceux-ci verront le jour grâce à Philippe Marchal qui, animant la revue Travers, n’a jamais manqué de souligner combien l’exemple, l’aide et l’amitié de Jean Vodaine comptèrent (et comptent toujours) pour lui.


Revue Plein chant : Bassac - 16120 Châteauneuf-sur-Charente.

4 novembre 2006
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