Jean-François Vilar | Par Marc Perrin
C’est par lui que je découvre le travail de Marcel Duchamp. C’est par lui peut-être que pour la première fois j’éprouve la possibilité d’une justesse et d’une adéquation entre une vie politique – trotskyste, pour lui – et une production artistique – littéraire.
Il fait paraître une dizaine de livres, entre 1982 et 1997, puis il cesse de publier.
En mai 2011, devant l’opéra Bastille, à Paris, quelques centaines de personnes occupent la place pendant quelques jours. Une après-midi, il y a du soleil, et un homme dont le visage me fait penser à lui. Je ne connais de son visage que quelques photos, anciennes. Si cet homme est Jean-François Vilar ? Il est là.
À ma connaissance, entre 1997 et le jour de sa mort, le 16 novembre 2014, donc, il n’a fait paraître qu’un seul article, dans Mediapart, à la suite de la publication du livre de Richard Millet, Langue fantôme suivi d’Éloge littéraire d’Anders Breivik. Les derniers mots de l’article sont les suivants : l’alternative reste donc d’une élémentaire simplicité : là où nous sommes, là où une quelconque forme de fascisme sévit : c’est eux ou nous !
Souvent, pensant à Jean-François Vilar je me disais que la seule nouvelle que je recevrais un jour le concernant serait l’annonce de sa mort. J’écrivais son nom, parfois, dans la case ad hoc d’un moteur de recherche. Aucune nouvelle. Bonne nouvelle. Il vivait encore.
Aujourd’hui je n’y pensais pas. À sa mort. En écrivant Jean-François Vilar + Père Duchesnes dans la case du moteur de recherche je n’y pensais pas. Là voilà.
C’est en haut de la page. Premier résultat : un article de Mediapart datant du 22 décembre 2014. L’émotion joyeuse, à lire son nom associé à quelques nouvelles récentes, est vite assombrie. Jean-François Vilar est décédé le 16 novembre à Paris, à l’âge de 67 ans.
D’ailleurs, c’est toujours les autres qui meurent. C’est une phrase de Marcel Duchamp. On peut la lire sur sa tombe, à Rouen. On peut la lire aussi en exergue du premier roman de Jean-François Vilar, elle donne le titre au livre, en 1982.
Son dernier roman, Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués, est publié en 1993. Le titre est inspiré d’une phrase extraite d’une lettre écrite – en 1940 ? – par Natalia Sedova – compagne de Léon Trotsky – à Victor Serge, lors de leur exil au Mexique. Nous cheminons dans le petit jardin tropical de Coyoacán entouré de fantômes aux fronts troués.
« Ce fut un tintement de clochettes qui me tira de ma torpeur. De très douces et raisonnables clochettes. En fait, un simple trousseau de clé que Solveig agitait devant moi. Elle ne m’avait pas suivi. Il était admis qu’elle savait toujours où me trouver. Quelquefois, nous nous rejoignions.
Elle dit :
– Katz et Mila étaient avec nous, ce soir. Félix aussi, Alex et tous les autres. C’était leur dernière nuit. Tu les as conduits jusqu’où il fallait. Ils s’enracinent à Paris. Ils font maintenant partie de la cohorte discrète et tenace des ombres de Prague. Simplement ici, au Lucerna. Ce n’est qu’une lanterne. La Lanterne magique, le théâtre de la révolution, est dans une autre galerie. Pas loin d’ici, mais ailleurs dans Prague. Jusqu’ici, tu ne te promènes que dans une idée de la ville. Fais attention, mais pas trop. Le jeu n’est pas près de finir.
Solveig proposa que l’on dorme, ici. Parce que dans Prague, malgré nos arrangements et nos lambeaux de biographies, nous en étions au même point.
Elle dit encore :
– Il y en a qui vont et viennent. Toi, tu reviens. Maintenant, ce sera Prague.
Plus tard, bien plus tard que 5 heures du matin, je me réveillai, seul et engourdi.
Ce segment de la galerie n’était pas encore très fréquenté, il était trop tôt. Je me levai, remis de l’ordre dans ma tenue. Dans une vitrine, un miroir me renvoya très exactement l’image usée que j’attendais et qui me convenait.
Parmi les petites annonces, à quelques pas, je trouvai celle qui m’était destinée, toute nouvelle. Solveig me donnait rendez-vous, le 21 août. Sans plus de précisions. Heureusement. »