Jacquette de Bussac l Incorpore

Jacquette de Bussac vient de la danse contemporaine (création, scène, enseignement). Ce texte est une première publication. Il fera l’objet d’une lecture dans le cadre du festival "femmes (en)jeux" à Carcassonne, à la librairie Breithaupt, le 7 mars prochain.

 

 

 

Peau qui se fissure-écailles-ça tombe-désagrège-
fragments petits bouts par tous les bouts. Ça échappe.
Si on touche ça explose. Ça se dilue, tombe en poussière, fond, disparaît.
Mon corps plus mon. Corps disparu, plus de peau, d’enveloppe.
Plus moi.
Ça fait peur ? Non, ça disparaît- ressens rien-plus rien- plus souffrir, plus mal.-
plus jamais touchée-jamais ATTEINTE.


Frapper la tête mal pas mal. Taper contre le dur, pas peur, taper sinon silence sinon peur. La main qui serre le ventre, plus respirer, pas crier peux pas alors taper la tête.
C’est bon taper plus peur. Le bruit dans la tête pas mal, comme le cœur qui tape dans la poitrine. Taper c’est vivant c’est le bruit du cœur dans la tête qui arrête la peur. Un peu
un petit moment. Arrêter la peur.


Comme une danse. Frapper, pas crier. Écouter après, écouter résonner le corps. Ça bondit, ça claque, ça tombe, ça chute, ça pète. Le son du corps. Les mots du corps qui tombe. Du corps qui se retourne se renie se replace. Corps contre corps contre mur. Le mur et le corps, danse ensemble. Corps contre, mur dur contre corps mou, mou et dur.
A nouveau frapper. Mon corps contre leur mur.
<br


°



Soif. Dans le noir de la tête. Soif dans la bouche, papier mâché, sons avalés. Pas de son pas de bouche ? Si bouche blessure, bouche sèche. Les sons pas là, pas dans la bouche, les sons gardés dans le noir dans la tête. Les sons pensés et pesants les sons des mots qui étouffent, qui obstruent la bouche, alors la bouche toute sèche, craquelée, blessée la bouche. Soif de la blessure, peux pas parler. Les sons asséchés.
La soif elle a avalé la bouche les mots les sons. Peux pas crier pas dire pas baver les mots. Soif dans le noir silence, le noir de la bouche blessée. Peux pas les dire les mots les sons, trop mal à la bouche. Trop BLESSÉE.


Goût salé .Des larmes ? Non pas d’eau dans les yeux dans la bouche.
Un goût de l’intérieur de la chair, un peu de moi à lécher. Le sang dans la bouche dans le corps la langue de moi lèche le sang de moi. Doux, humide parfumé un peu fort.
La langue cherche le sang la peau de la bouche, l’intérieur la caverne de la bouche chaude, suinte, brûle un peu aussi brûler la bouche brûler les mots. Saigner des mots de la bouche, saigner la blessure du trou qui saigne comme une bouche dans le corps..


Clos comme un œuf. Rond et fermé serré. Un bébé un poussin un fœtus. Un poing serré. Enroulé bien compact dur comme ça pas mal personne rien ne touche rien ne rentre
pas de trou où rentrer le doigt le couteau le poing pas de trou à blesser pas de bouche pas de mots pas de son pas d’oreille pas le sang sortant du trou jaillissant
le sang de la bouche du trou du corps un trou dans le corps bien caché
enroulé autour du trou, du son, du cri, envelopper tout bien serré personne rien n’arrivera


°


Étouffer-trop serré le nœud- étouffer respirer
Respirer happer l’air parce que trop noué trop dense la boule le caillou
La pierre étouffe au fond de la bouche la pierre au fond de la tête la pierre qui frappe qui étouffe qui enserre la pierre elle étouffe tout le corps comme la pierre dure si dure et pas d’air qui passe et la bouche sèche et le ventre la poitrine entre les os de l’air
il faut respirer avaler l’air et défaire un petit peu le nœud sinon plus jamais rien plus vivant le corps
Il faut que je respire
EXPLOSE
L’air implose le corps jeté dans l’air, brasser l’air flotter dans l’air boire de l’air
Trop d’air aussi étouffe obstrue crache
Air et salive et eau dans la bouche plus de sang juste l’eau,la sueur les larmes
l’eau des yeux du nez du trou de la bouche de l’air et de l’eau et défaire
desserre un peu la boule le poing
humecter, amollir un peu il faut sinon pierre, dur pétrifié le corps et puis
plus rien donc de l’air de l’eau et aussi du son alors
Respire et expire le souffle ça fait du son, déjà la morve la sueur la salive elle crépite suinte gargouille, alors des petits bruits dans la bouche petits animaux sonores
chuintements glissements. Cela fait une petite musique de la bouche aqueuse liquide luisante babille bulle bave suave sueur secrétée par la peau serrée enfermée,
chaude et humide la bouche amollie
de l’air et de l’eau et du son un peu alors
Mais pas TROP
Pas trop à la fois
pas trop
tout de suite trop
PAS !


Si je coupe le doigt ça repoussera, comme les cheveux les dents et les poils, puis mon bras aussi je l’arrache et après il repousse à deux peut être. Couper les lèvres la langue la bouche du dedans le ventre, le trou du ventre comme un nœud à l’envers tu le déchires c’est tout l’intérieur qui dégouline « et le fruit de vos entrailles » dans la prière et les poulets qu’on vide avec la main rouge et ça ressort en rubans glaireux avec des boules luisantes.
Non je veux dire si je coupe la langue, elle repoussera rose et humide et épaisse, déposée dans la bouche et la bouche des jambes et du pipi, la main à l’intérieur elle ressort rien poisseux et ça pue et serrer les jambes pour plus jamais avoir le trou.....J’en étais où déjà, le doigt dans l’oreille tiens l’oreille si tu la coupes est ce que c’est le silence total, le silence tonitruant je me demande. L’oreille dure et molle avec un trou aussi, je mets le doigt et j’entends la mer qui bat dans la tête, le sang qui va et vient le sang, tout ce sang que ça fait, si je coupe ça va se vider et je serai creuse, un vide un trou décidément le trou revient toujours foutu trou noir sec vide rien.


Trimballer ce corps comme un grand sac vide.
Un sac un vide à remplir un sac poubelle quoi, un sac où n’importe qui fouille, tripote, retourne et puis jette parce que trop décevant. Sac à puces sac à viande fringuée comme un sac peux pas la saquer celle là !
Mise à sac du corps, du moi, moi dans le sac et bien fermer pour ne rien laisser s’échapper.
La tête dans le sac et taper bien fort contre le mur-les petits chats seront crevés.
La tête dans le sac pour ne plus rien voir ni attendre et ça étouffe, asphyxie,la tête qui tourne et juste au moment où tu vas t’évanouir on enlève le sac et tu es ivre titubante et tu respires un grand coup, tu t’étouffes de trop avaler d’ oxygène tu tousses tu craches-ben tu vois que t’étais mieux avec le sac sur la tête petite conne !
Mon petit chat viens ici qu’on continue à jouer un peu avec le sac....
Faut que tu vides ton sac et qu’on en finisse-sac à merde !
Trop plein de douleur et de haine de soi, ton sac ton corps ton moi
ce que tu voudra
sac à sec

Le sac de peau que tu portes sur ton squelette, la peau qui se déchire se fissure, desquamer comme un serpent, mais pour arriver à l’os blanc et pur, il faudrait arracher
les nerfs les muscles les ligaments la chair la graisse la matière quoi, tout ça qui colle et poisse sur les os, détacher doucement chaque couche pour atteindre l’os blanc le pur le dur le lisse.
Moi ma peau je la sauverai !
Grande écorchée ne renoncera pas à son enveloppe protectrice,
son gant sa parure son armure sa carapace
Tout bien serré ensemble, du noyau à l’ épiderme-du sang jusqu’aux larmes.
L’os est là, l’os est beau.
Lasse d’être dans ma peau .
Que la douleur me laisse, me dépasse, me défasse...
M ’efface toute.

 

Jacquette de Bussac-Paris 2011

14 février 2015
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