Jérôme Peignot (6/6)

L’Imprimerie nationale (I.N.), créée par François Ier, sous le nom d’Imprimerie royale, a sous-traité ou sous-traite ses publications. Nous sommes en train d’assister à l’agonie de l’Imprimerie nationale, avec tout ce qu’elle comporte... Nous essayons de sauver, avec une petite équipe d’une vingtaine de personnes, son patrimoine typographique... qui a une valeur internationale !

C’est incroyable ! Les poinçons de Garamond, qui sont là depuis François Ier, des caractères d’imprimerie en soixante-dix langues différentes, une bibliothèque de trente à quarante mille livres... un trésor national est en train de disparaître, sans que les pouvoirs publics s’en émeuvent.

Je m’occupe de ce dossier depuis l’époque de mon doctorat, et même avant, puisque cela remonte à l’arrivée de Mitterrand en 1981. Cela fait du temps ! Seul Jack Lang a fait quelque chose. Il a mis en place une Commission interministérielle qui a créé un atelier typographique à l’Imprimerie nationale, chargé de digitaliser le patrimoine typographique national.

Cet atelier a fermé, faute de moyens financiers. Le prototype d’une photocomposeuse de quatrième génération avait été créé : la machine a été sabordée par le ministre de la culture Léotard. Le rapport que j’avais écrit, à la suite de la mission dont j’avais été chargé par Jack Lang en 1993, n’a pas été ouvert par ses successeurs, et pourtant cela concerne à la fois la Culture, l’Education nationale, l’Industrie, la Recherche...

Aujourd’hui, nous sommes au bord du gouffre. L’Imprimerie nationale est vendue, l’immeuble de la rue de la Convention est vendu, le déficit de l’Imprimerie nationale est abyssal... Il se trouve que je suis pratiquement le seul écrivain à m’occuper de cela. C’est curieux, mais c’est comme ça.

Voici un document : le dossier de l’Imprimerie nationale, qui a été publié dans Arts et Métiers du Livre (N° 245 de décembre 2004), et qui fait le récit de cette histoire et de ce patrimoine mondial.

Je lis : « L’annonce de la vente des locaux de la rue de la Convention au groupe américain Carlyle et donc du déménagement prochain de l’Imprimerie nationale a renouvelé et ravivé les inquiétudes quant au devenir de son patrimoine. Au départ de Jean-Luc Vialla en juin 2003, la construction d’un bâtiment à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) était envisagée pour accueillir ce musée et l’unité de production feuilles, projet qui s’est finalement restreint au seul accueil de l’unité feuilles, sans qu’une autre solution soit envisagée pour le cabinet des poinçons de l’atelier du livre. Dans un article paru dans « Le Monde » du 1er juin, M. Guillerme, professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers alertait l’opinion publique tandis que le comité Patin voyait le jour. Fondé pour sauvegarder cet exceptionnel patrimoine, il a lancé sur Internet une pétition adressée au président de la République, dont l’objectif était de réunir au moins 5 000 signatures fin octobre 2004. Traduite en vingt langues, elle recensait à la date voulue 12 021 signatures. La liste des signatures montre une exceptionnelle mobilisation, non seulement des professionnels mais d’un public de tous horizons et de toutes nationalités. »

Là-dessus, nous avons donc réuni ce groupement que nous appelons « Patin », qui a dialogué longtemps sur Internet, et maintenant ça y est : nous avons trouvé une solution.

Nous la proposons à M. Loïc Lenoir de la Cochetière, qui est directeur de l’Imprimerie nationale pour le moment, il ne le sera plus longtemps, car tous ces messieurs se succèdent tous les deux ans... J’ai connu M. Bonnin, M. Fiszel, M. Beaussant, M. Saffache, ce sont des Inspecteurs des Finances, qui font une carrière dans l’administration, et qui passent un moment à l’Imprimerie nationale. Les faits sont là : tous ont administré la preuve que le sort de ce patrimoine ne les intéresse pas plus que cela.

Extrait de "Typoèmes".

Dans la revue déjà citée, on pose à l’actuel directeur de l’I.N., M. Loïc Lenoir de la Cochetière, la question suivante : « Vous venez de vendre le bâtiment. Est-ce que le bâtiment ne peut pas financer la construction et la création de ce que nous appelons « CITE », c’est-à-dire un Conservatoire de l’Imprimerie et de la Typographie et de l’Ecrit ? »

« La vente de l’immeuble de la rue de la Convention, a-t-il répliqué, ne suffit même pas à combler le déficit ! Le produit de cette vente s’élève à 85 millions d’euros, l’Imprimerie nationale a perdu 105 millions d’euros en 2003, donc tout cet argent est déjà consommé, les pertes ont été monstrueuses, le déficit de l’atelier du livre d’art et d’estampes, c’est moins d’un million d’euros... »

La Revue Arts et Métiers du Livre cite encore ce directeur : « Au printemps 2005, les locaux du 27 rue de la Convention devront être mis à la disposition de leur nouveau propriétaire... L’acte de vente n’est pas encore signé, la promesse de vente a été signée en 2003, mais elle engage de manière irréversible les deux parties puisque les conditions suspensives sont l’obtention du permis de construire et la dépollution du site qui nous incombe. Le permis de construire a été obtenu et la dépollution a commencé et nous avons jusqu’à la fin de l’année 2005 pour la terminer. »

Nous avons donc élaboré ce projet de sauvegarde : « CITE », que l’on peut trouver sur Internet, et qui prévoit de regrouper le patrimoine de l’Imprimerie nationale à l’Ecole Estienne. A supposer qu’elle s’agrandisse car ses bâtiments sont encore insuffisants. Cette école est le dernier lieu où il reste encore un savoir-faire en la matière. Il faut aussi penser aux ouvriers concernés ! C’est ce que faisait Pierre Leroux. Pas notre gouvernement. En ce moment, en France, on liquide beaucoup.

Et voilà, finalement, sur quoi je tombe, et que j’ai fait placer en exergue de notre projet : « Entre les différentes causes qui ont concouru à nous tirer de la barbarie, il ne faut pas oublier l’invention de l’art typographique. Donc décourager, abattre, avilir cet art, c’est travailler à nous y replonger et faire ligue avec la foule des ennemis des connaissances humaines. »

Ceci figure dans la Lettre sur le commerce de la librairie, de Diderot, écrite en 1763 ! »

A la ligne :

http://jeromepeignot.free.fr/
http://www.laboucherie.com/texte/bataille.htm
http://www.michel-leiris.com/HH/
http://www.pianotype.net/Leroux.html
http://gallica.bnf.fr/themes/PolXVIIII9.htm
http://www.typographie.org/gutenberg/balzac/balzac_2.html
http://www.humanite.presse.fr/journal/1999-05-31/1999-05-31-290483
http://www.garamonpatrimoine.org/

7 février 2005
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