Juste après (et autres poèmes)

Juste après

Le ventre replet d’un lapin trapu
La joie de le toucher
et rire et hurler

en soie d’Alger surfine, brodé
Des éclats du Grand Arrêt sous les doigts
et rien ne bouge sur la table

sur une trame serrée en lin métissé

Les ombres poudrées d’un papillon sot
La peur de le tuer
et chercher du nougat

en paperolles souples, roulées
Les fumerolles en bas
et pas de bruit dans le chenil

dans la neige d’un dessert de plumes

La chair et la brillance d’un poisson fertile
L’envie de le manger
mais où sont mes semblables

en sanguine ocre et beige
Le nuage du champignon
et aucune vie malgré la pluie

entre deux murs de rêve.

*

Log cabin

J’ai repoussé mon assiette
Et festonné un coupon de lin,
Puis j’ai fumé près d’une indienne
Cachée dans la barque à fond plat qui traine
Dans la remise depuis la dernière pêche
Avec Rose (la voleuse de quilts amish).

Je glissais la clope entre ses lèvres
Et puis les miennes,
En me disant qu’on n’y verrait que du feu
Sur le chemin qui passe devant la maison.

Après le rangement de la vaisselle,
J’ai tracé un hexagramme dans la poussière
Au nord du perron,
Et jeté le bâton
Entre des piquets
De bois mort colonisés
Par du lichen.

Bientôt viendront
Deux têtes plates à la langue qui pique,
L’homme et la femme mêmement
crétins et saligauds,
Mais je n’épaulerai pas mon fusil
Car avant de rentrer boire un verre de sky,
J’ai flatté la tête
D’un chien errant
Qui gémissait
Couché sur le flanc.

*

Rupture de la traction

Au lendemain
de la tue-cochon
nous rentrons à la nuit

tu conduis distraitement
tes mains
dont le toucher inattentif
n’agace plus
mes seins
sont posées sur le volant
inutiles et machinales

et pourtant
les pulsations la joie
brutale
et l’affolement
prennent mon corps quelquefois
comme à l’instant
où je tourne la tête
secouée d’une joie muette
devant une pelletée de roses
suspendues
à une ornière

tu me dis : « à quoi tu penses »
et je ne peux pas
te répondre qu’avant de
te fermer les yeux
je verrai encore dedans
l’ennui sertir
les rayons noirs de leur iris

ce même ennui qui
flottera
avec les pans de ta chemise
lorsque tu écraseras
soudain
la pédale d’accélérateur
jusqu’à la chute dans la rivière
dont seule
je sortirai indemne
pour t’enterrer à même la rive.

*

Une carotte pour le nez

Je boutonne
Samedi avec dimanche
Sur ma gosse
Qui sort de son gilet
Des quignons volés
Aux mendiants de son rire.

Elle fait des noeuds
dans mes pelotes,
Tire les rangs
Qu’elle détricote
Avec l’enfance
De sa grand-mère,
Et tombe une maille
Sans incidence
Sur les silences
De mon histoire.

Puis elle arrache ses yeux
En faisant de son mieux,
Qu’elle offre ensuite à un bonhomme de neige.

 

Anna de Sandre écrit et tient un blog. Elle publié en revues, en recueils et a récemment publié Un régal d’herbes mouillées aux Editions Les Carnets du Dessert de Lune.

13 juillet 2012
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