KDO 2 NOEL

"La langue travaille celui qui la travaille", disait Claude Simon.

D’où l’importance de veiller à son évolution, ses dérives. Voir par exemple à propos du mot jouabilité.

C’est ce que font excellement quelques chroniqueurs, ainsi le Coup de langue de Michel Volokovitch dans la Quinzaine Littéraire, et dans l’Humanité les chroniques Vers la néo-langue de François Taillandier, dont nous reproduisons ici la plus récente : elle est de saison...


François Taillandier / KDO 2 NOEL

L’écriture SMS ou « texto », inventée et enrichie par les adolescents utilisateurs de téléphones mobiles, est à la mode, comme en témoigne la publicité (voir le titre de cette chronique) ; elle fait l’étonnement des adultes, quand ils ne se croient pas obligés de glapir que le français fout le camp, qu’on ne sait plus écrire, que la civilisation va crouler.

L’écriture « texto » fait partie d’un mouvement général du monde présent, privilégiant la dimension strictement utilitaire de la langue, tendance que l’on peut observer à plusieurs niveaux.

Prenons la langue planétaire. L’anglais comporte, croit-on, plus de cinq cent mille mots ; un Anglais moyen en utilise dix mille ; mais il ne vous en faut pas plus d’un millier pour parler parfaitement le « globish » (global english), en y ajoutant des lexiques spécialisés, selon que vous travaillez dans les affaires, la technique, le droit, etc. La langue véhiculaire, c’est une langue à usage pratique, immédiat, le plus court chemin d’un point à un autre. Elle sème en route ce qu’il y a dans toutes les langues de références à une culture, à un enracinement, à une manière d’être, à une « poésie » au sens le plus large du terme.
Cette tendance se retrouve dans une autre mode langagière que l’on désignait, il y a quelques années, sous le nom de « rac » (raccourci). Elle consiste à dire un « déj », plutôt qu’un déjeuner, un « ado » pour adolescent, etc. Dans son Manuel du politiquement correct (1), Vladimir Volkoff note que ce qui est évacué dans le « rac », c’est, précisément, l’étymologie. « Déj » ne renvoie plus au radical « jeûne, jeûner » ; « pédé » au lieu de pédéraste ne fait plus allusion à la racine « érotô » (j’aime). L’étymologie : donc la racine, la mémoire, la longue durée.

Que faut-il penser de tout cela ? Ce souci mémoriel a poussé autrefois des grammairiens à réintroduire dans certains mots des lettres étymologiques (le g de « doigt », pour le rattacher à « digitum »). Il ne faut peut-être pas trop en faire dans ce genre-là. Si l’on n’avait jamais renoncé à une orthographe ou à une origine, on écrirait « manducare » et on prononcerait « manger ».

D’un autre côté, si l’on prend l’habitude définitive d’écrire « je tapel » au lieu de « je t’appelle », on lâche en route les notions de conjugaison, de complément, de pronom, l’intelligibilité même du langage.
Ma conclusion ? Parlez et écrivez comme bon vous semble, mais sachez ce que vous faites. L’ennemi, ce n’est pas l’irrespect, le laisser-aller joyeux. L’ennemi, c’est l’ignorance.

Biz, et A 1 2 C 4 !

© François Taillandier / L’Humanité

(1) Éditions du Rocher, 2001.

27 décembre 2004
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