L’Année de l’hippocampe

Le troisième roman de Jérôme Lafargue.


L’hippocampe est l’être vivant le plus lent du monde. L’imiter ne peut pas faire de mal : Félix Arramon, qui a, ces dernières années, effectué de nombreuses missions en territoires souvent hostiles (notamment au Kenya et au Guatemala), a décidé de vivre en retrait en suivant à peu près le rythme paisible adopté par ce petit nageur vertical. Il entend ainsi retrouver un minimum de quiétude en recollant les morceaux d’une santé mentale et nerveuse qui a volé en éclats en cours de route. Pour cela, pour se requinquer, il se réfugie dans une petite station balnéaire du Sud-Ouest et s’octroie une année de léger farniente. Durant celle-ci, il tiendra un journal et écoutera un seul disque par jour.

« Nous sommes de plus en plus nombreux dans mon cas, des âmes errantes et inutiles, si conscientes de leur état que cela en constitue une torture supplémentaire. Je n’abandonne pas la partie par idéologie ou dégoût ou colère. Je laisse tomber parce que l’esprit ne suit plus et que le corps est fatigué. »

Au fil des jours, les notes se succèdent. Tour à tour anodines, clinquantes, curieuses, maussades, soucieuses, s’abîmant dans un passé chargé ou racontant un présent trop idyllique pour être vrai, elles donnent de nombreux indices pour mieux cerner la personnalité – et les fêlures – du narrateur. Elles explorent également des intériorités mouvantes, celles des êtres fragilisés par le cours d’une histoire à laquelle ils ne peuvent s’empêcher d’aller se frotter.

« J’essaie de mener une vie à peu près normale. Il me faudrait cependant de très bonnes nouvelles pour sortir le nez de l’eau. »

À défaut de recevoir ces « bonnes nouvelles », Félix Arramon puise dans son imagination et en invente quelques unes. Il a une certaine propension à se métamorphoser, à devenir autre, à jongler avec la géographie et à réactiver d’anciennes aventures. Il ne s’en prive donc pas. Et Jérôme Lafargue, qui a quelques arguments majeurs à faire valoir en matière de personnages devenus maîtres en dédoublement (on se souvient de L’Ami Butler) va lui venir en aide... Au milieu du livre, il donne un grand coup d’accélérateur au roman. Il monte le son et le ton. Il donne congé à l’ex-reporter à bout de souffle en lui trouvant un double idéal au pied levé. Mêlant désinvolture et gravité, il multiplie les chausse-trappes... De quoi piéger le lecteur. Qui ne s’en apercevra qu’à la dernière page. En découvrant un épilogue mine de rien fouetté d’espoir.

Avec ce carnet de bord d’un trentenaire usé mais désireux de remettre ses pendules mentales à l’heure afin de se bâtir un peu d’avenir, Jérôme Lafargue signe un troisième roman subtil et astucieux. Si l’hippocampe en est l’emblème, l’homme d’action et d’engagement qui se voit soudain contraint à l’arrêt, en proie à ses désillusions et à ses démons irrationnels, en reste la figure centrale.


Jérôme Lafargue : L’Année de l’hippocampe, (Quidam éditeur).

13 septembre 2011
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