L’envol des échoués

Premier roman d’Elsa Frering.


Leurs vies se touchent en périphérie d’une ville dont on ne perçoit que quelques lieux précis : deux, trois rues désertes, un immeuble, une gare de triage, un terrain vague réservé à ceux qui ne voyagent presque plus. C’est dans ce décor aux allures de no man’s land rendu encore un peu plus froid par l’arrivée des premières neiges que six personnages, tous exclus du monde, se retrouvent pour mettre au point les modalités pratiques d’un départ imminent.

Il y a là deux afghans qui ont dû quitter, avec leur jeune frère, perdu en cours de route, leur pays en guerre, un vieux bulgare qui ne veut pas mourir sans revoir sa colline natale, une grand-mère gitane qui n’en peut plus de faire du surplace, un jeune français sans attaches particulières et kaia, une tzigane lumineuse qui transmet aux autres sa bonne humeur et son envie de quitter au plus vite ces rivages peu accueillants. Pas un d’entre eux ne se contente de cette existence au rabais où il leur faut constamment biaiser, se cacher, frôler les murs et ramasser les miettes pour espérer subsister.

« Voilà déjà quelques nuits blanches que nous employons à tourner et retourner le problème. Nous avons envisagé un certain nombre de solutions. Réalistes ou non. Peu importe.
Cet habitat bien que précaire n’est plus propice à rien.
Il nous crache avec violence d’aller voir ailleurs. »

Cet ailleurs dont ils rêvent et dont ils veulent se rapprocher au plus tôt n’a pas de nom. Il leur faut simplement un véhicule pour s’y rendre. Le reste est une histoire de route. Et celle-ci est là, juste devant eux, avec ses promesses de kilomètres à avaler pour mettre de la distance entre un présent morne et un futur à construire.

« Le camion suffoqua, s’ébranla et se mit à courir après la route qui s’enfuyait devant lui, épris lui aussi d’un soudain hargneux et puissant besoin de liberté. »

L’envol des échoués est le premier roman d’Elsa Frering. Elle le mène tambour battant, d’une écriture légère et fluide, donnant en quelques phrases corps et vie à des personnages qui sont perpétuellement en mouvement, portés par un dynamisme qui leur permet de déjouer les pièges d’un monde qui ne veut pas d’eux pour s’en inventer un autre.


Elsa Frering : L’envol des échoués, Les contre-bandiers.

7 juillet 2012
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