Laurent Herrou et Pauline Sauveur | Un monde_Tir à vue (l’art n’est pas une guerre)

L’art n’est pas une guerre.
Ce n’est pas un cadeau non plus.
C’est là, vous avez de la chance : nous sommes là.
Nous vous avertissons de notre présence, nous sommes des klaxons si vous voulez. Vous avez besoin de nous pour ne pas vous faire écraser. Par la vie, par la société. Par vous-même.

Extrait du Manifeste * Public Averti

Les lectures Klaxon ont débuté en septembre 2015 : la première édition réunissait Alexandra Bitouzet, Camille Cornu, Pascale Fonteneau, Olivier Jouan, Pauline Sauveur et Laurent Herrou à Sancerre, dans un café de la vieille ville. Extraits d’œuvres récemment publiées, en cours et de textes plus anciens pour certains, le tout entrecoupé des improvisations au piano de Roby Rousselot, la séance s’ouvrait sur la lecture du manifeste du collectif.

La seconde en mai 2016 au même endroit donna à entendre les voix de Christophe Grossi et d’Yves Charnet en plus de celles des deux auteurs à l’origine de * Public Averti. Il fut établi implicitement que ce serait dans une forme sensiblement équivalente que se dérouleraient les prochaines éditions : deux auteurs autour de Laurent et de Pauline — Eric Maliszkiewicz, le mari de Laurent, accompagné au piano par Roby, avait ponctué ce deuxième opus de quelques chansons.

La troisième édition devait réunir Olivier Steiner et Mathieu Simonet en novembre mais des complications ferroviaires vinrent compliquer le planning et la soirée fut annulée, puis reportée au 10 décembre, toujours à Sancerre : Fabienne Desseux rejoint le collectif autour de Mathieu, Pauline et Laurent, en y lisant des extraits de son Journal d’une Chômeuse (à paraître cette année chez Jacques Flament).

« Assise dans le hall du conservatoire de musique où nous allons bientôt enregistrer la lecture de ce texte double. J’écris à propos de cette lecture qui eut lieu à Sancerre en décembre dernier. C’était le dernier texte à être lu, au-dessus des assiettes vides. Le repas était terminé et nous étions, les artistes et les personnes du public, rassasiés. C’était la fin de la soirée et je m’étais dit qu’il était fort probable, oui, que je plombe l’ambiance avec ce qui ne ressemblait pas à un dessert.

A chaque relecture renaît le ton, et la colère sourde se réveille de ses endormissements. Elle jaillit du texte et de l’idée, à l’affut, et si je baissais la garde, serait prête à tout envahir. Je la vois comme je l’ai vue la première fois sur ma feuille s’étendre quand j’ai écrit un chapitre puis l’autre de ce texte en forme de cri. Il y a les larmes aussi. Je reconnais dans ma gorge les larmes qui existent face à l’horreur que j’effleure à peine dans la dernière partie. À peine rien et qui presque submerge, qui devrait nous submerger d’ailleurs, qui devrait être au grand jour, qui devrait nous être intolérable et nous faire agir.
Depuis je relativise, à force je relativise, non pour minimiser mais parce que simplement, le caissier et les hommes hypothétiques d’un autre monde inversé, en train de survivre, ils existent tout autant ici dans le vrai. Effectivement, la précarité est loin d’être réservée aux femmes. Et la violence faite au corps et à son absence de prix, à sa désespérante inutilité suivant le lieu l’histoire et le régime en place autour, dans la politique les têtes et les croyances, le corps est autant celui d’un homme que d’une femme. Je relativise. Pour étendre ce refus au delà du genre. Et la colère n’en n’est que plus grande et plus froide encore. »
Pauline Sauveur [7 juin 2017]

En janvier 2017, Laurent Herrou déménagea à Bruxelles.

L’idée fut discutée alors d’organiser la quatrième édition en Belgique, d’y réunir des auteurs belges et des auteurs français. Nicolas de Mar-Vivo, éditeur chez Eléments de Langage, en accepta l’idée. Pauline et Laurent décidèrent d’y reprendre Un monde_Tir à vu, en ponctuation des lectures des trois autres auteurs (Caroline Coppé, auteur-maison EDL, Pascale Fonteneau à nouveau et Yannick Kujawa, qui vit à Lille).

« Un jour, un message tombe dans la boîte mail, je clique, un voisin, auteur, nouvellement installé à Bruxelles, passé par hasard devant la devanture d’éléments de langage (EDL) souhaiterait venir voir de plus près ce qui s’y trame. Nous convenons d’un rendez-vous. C’est Laurent, sa chevelure et sa barbe. Il est timide et chaleureux, il ne me regarde pas dans les yeux. J’aime sa voix, sa foi en la littérature et le fait qu’il ne joue pas à l’écrivain. Nous discutons, c’est un plaisir, rare, précieux, une rencontre. Mon chat, Sisu, vient le renifler et l’apprécie, ça ne trompe pas. J’ouvre son Journal, paru chez Jacques Flamant, un paragraphe suffit pour saisir une parole. Nous nous revoyons, au bar du matin, nous nous lamentons sur nos conditions de vie tout en nous réjouissant d’être là, au café, quand tant d’autres triment. On se dit que nous allons forcément faire quelque chose ensemble, un livre, ou autre. Il me fait lire un texte sur son expérience de libraire à la FNAC, le mot FNAC revient tous les trois mots, ça parle plus de l’aliénation au travail que de la FNAC, ce sera bientôt un objet littéraire non identifié de la maison, c’est évident. Il me parle du Cher, de son mari, d’un collectif qu’il a fondé avec quelques amis, *Public averti. J’aime le nom. Pourquoi ne pas organiser une session dans les locaux d’EDL ? Ce sera Klaxon à Bruxelles, le 8 avril. Des lectures. Variées et prenantes. Une performance littéraire. En tant que contre-performeur notoire, j’apprécie. Je ferai mon cake aux olives et Katja son gâteau à la carotte. Le public est là, averti et éclairé, une vingtaine d’amoureux à l’écoute attentive. Et des auteurs. Une autrice maison, Caroline, et son Nommons le mot nomade avec son beau regard décalé sur nos vies sédentaires. Puis les membres du groupe, que j’ai le plaisir de découvrir, Yannick et son Elle dit qui sonde avec finesse l’histoire d’une famille de corons, Pascale et ses histoires irrésistibles de meurtres méthodiques. Pauline et Laurent ont décidé de proposer une lecture alternée. C’est une bonne idée. Leurs textes n’ont semble-t-il rien en commun, l’un parle du sexisme ordinaire, d’auteur(E)s, d’écrivain(E)s qui ont du mal à obtenir le E que l’on doit à leur genre, de jeunes filles en souffrance — l’autre de l’amour d’un jeune Syrien et du carnage de Nice. Et pourtant, ça fonctionne, ça se répond, sans pathos, ce qui est rare. Les mouvements de Pauline sont drôles, ceux de Laurent émouvants. L’ensemble est bouleversant. Intime. Ça parle du quotidien, du nôtre, de la fragilité qui fait notre force et de l’écriture qui ne sublime rien mais permet de mieux comprendre où l’on est et ce que l’on peut y faire. Ça s’appelle Un monde — Tir à vue. Quand j’ai lu le manuscrit, il y avait encore une barre oblique entre Un monde et Tir à vue, un slash. C’est devenu un tiret. Ça va finir en trait d’union. »
Nicolas de Mar-Vivo [2 juin 2017]

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3 - (enregistrement)
4 - (lire en écho)
5 - (suite possible)
6 - (la parenthèse)
7 - (un an)
8 - (Nice)

8 juin 2017
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