Le salut viendra de la mer

 « Qui se mêle au grain se fait bouffer par les poules  », Chrìstos Ikonòmou


Ceux qui ont voulu fuir l’enfer de la crise dans les grandes villes grecques pour se réfugier sur une île de la mer Égée avec l’espoir d’y bâtir une vie meilleure en sont pour leurs frais. Là-bas aussi, dans ce paysage lumineux (qui leur semblait, vu de loin, être une destination idéale) ils sont irrémédiablement rejetés, considérés comme des intrus, des étrangers, des immigrés de l’intérieur.

« Â On est seuls, étrangers, qui va nous soutenir ? Mais le pire, c’est la mer. Tu t’attendais àce que je dise une chose pareille ? Et pourtant c’est comme ça. L’île est une prison, la mer c’est les barreaux.  »

Ce ne sont pas seulement les idées que la crise économique a réussi àfaire entrer dans les têtes qui sont àl’origine de leur exclusion. Un fond de pensée bien plus ancien, qui se réveille quand tout autour les digues sautent, refait surface. Il a àvoir avec la haine de l’autre, en particulier quand il s’avise d’expérimenter, qui plus est sur des terres où il ne possède aucune attache, un autre choix de vie. Ce vieux sentiment d’appartenance ancestrale au lieu s’exprime alors très librement, très sauvagement. Tassos, qui se révolte, qui croit au pouvoir des mots et àdes jours meilleurs, va même y laisser sa peau.

« Â Tassos, pauvre con, tu vas en prendre plein la gueule. On va foutre le feu àta baraque, mon petit vieux, on va brà»ler tes champs. Tringler ta gonzesse, massacrer tes mômes. La troisième fois, ils l’ont ligoté sur le capot de son pick-up et l’ont fait passer au lavage. Savon, brossage, séchage, toute la séquence. Une semaine àl’hosto, dents cassées, la peau ravagée par les brosses et les produits chimiques.  »

Ensuite ce sera au tour d’Elvis. Puis suivra le fils Lazaros. Tous deux disparus, volatilisés, jamais retrouvés. Certains se cachent et s’en sortent. D’autres tombent, se relèvent ou restent définitivement couchés. Ce sont eux, les exclus, les déchus, les cabossés, eux qui espèrent malgré tout, eux qui se démènent en se battant souvent contre des vents contraires qui montent en première ligne dans les textes de Chrìstos Ikonòmou. Il dit leurs blessures, leurs galères, leur soif de vivre, de survivre sans courber l’échine.

« Â Même si nous sommes tous d’accord que désormais, dans l’état où se trouve ce pays, est un héros non pas celui qui lutte contre le mal, mais celui qui apprend àvivre avec le mal.  »

Tous naviguent entre espoir et désillusion, entre résistance et résignation dans une société violentée que l’écrivain (auteur précédemment de l’excellent Ça va aller, tu vas voir) sonde en profondeur en s’attachant àsuivre le parcours de quelques personnages en marge et en usant d’une prose rude, râpeuse, éruptive qui ne faiblit jamais, qui touche parfois àl’incantation et qui parvient àmaintenir tout au long du livre un souffle impressionnant.


Chrìstos Ikonòmou : Le salut viendra de la mer, traduit du grec et postfacé par Michel Volkovitch, Quidam éditeur.

28 avril 2017
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