Les machines pleurent aussi

À peine entrée dans la galerie, le corps littéralement fracassé par des pages de Françoise Ascal, lues dans Fracas d’écume, et gelée dans mes membres, je vois dans une photographie fondre en larmes une phrase. Nicolas Descottes figure, àcôté d’une machine, un feu sur de la neige carbonique :
« Il se peut que cela ne ressemble en rien àla réalité àjamais insaisissable du corps souffrant de l’autre.  » [1]

Il se peut que ce feu ne ressemble en rien en effet aux sentiments de braise qui consument une femme aimant en pure perte un corps détruit par la violence d’un accident, il se peut que photographier des carcasses de bateaux [2] qui ont cessé de naviguer faute de mer relève davantage d’un témoignage que d’un geste militant, il se peut que la beauté des images du récit de la catastrophe fait par l’artiste devienne àdes regards rigides insupportable, mais il ne se peut pas que l’émotion ne soit pas victorieuse : certaines victoires ne peuvent être remportées que dans l’art et dans la poésie.

Le taux de mortalité infantile est autour de l’ex-mer d’Aral l’un des plus élevés du monde tant l’eau s’est coagulée, “gelée†en saline polluée.
Rabelais et quelques amis rappellent qu’il ne faut pas désespérer et que même gelés les “mots de gueule†finissent pas se faire entendre quand la voix qui leurs redonnent vie est celle d’un artiste ou d’une poète :
Pantagruel luy respondit que donner parolles estoit acte des amoureux.

6 mai 2006
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[1Françoise Ascal, Fracas D’écume, Éditions du Noroit/ Atelier la Feugraie, 1992, p.55.

[2Nicolas Descottes, Les bateaux pleurent aussi, Hazan, 2000