55- Les « tournées minuscules » de Maryline Desbiolles
On est, dans ce livre d’une écriture aussi simple que ce que laisse entendre ce titre familier, assez proche d’un genre que Gustave Roud ou Philippe Jaccottet ont exploré, celui de la promenade ; et du reste Desbiolles fait référence à Roud, qu’elle lit en sympathie.
Mais elle apporte au thème de la promenade quelque chose d’autre que les inflexions mélancoliques qui souvent ralentissent en la courbant d’une façon très caractéristique la phrase de Roud et celle de Jaccottet, et c’est peut-être que la mélancolie est une tentation dont il faut se déprendre, ou se méfier...
Car si « la mélancolie nous guette », à sentir venir « l’été dont nous serons un jour exclus », il y a aussi « l’obstination d’une foi enfantine (...) que nos attentes auront nourri l’été, tous les étés à jamais, qu’ils en porteront trace ». Et cette confiance anime une prose poétique directe et vive.
La complicité avec les choses simples toutes proches, les fleurs qu’on aime à nommer, les bêtes, l’herbe où l’on se couche pour reprendre souffle, comme aussi bien l’amour des grands visages ouverts du monde, sont des dons qu’offre chacune de ces « tournées minuscules » qui risquent, aiment, assument, veulent, la répétition du même ; et c’est, on le sait bien, cette épreuve-là qui toujours décide de l’amour.
Cette expérience quotidienne, sensuelle, joueuse, le cercle qu’elle trace obstinément, la grâce du retour, comme dans le « Chemin de campagne », révèlent aussi quelque chose de la nature de l’engagement de Desbiolles dans l’écriture, comme aussi de son rapport à la littérature : à l’un et à l’autre, elle ne peut être que fidèle, comme lui est fidèle le proche paysage qu’elle arpente du même élan heureux qui la mène à sa page d’écriture.
C’est un beau témoignage, et qui fait du bien.
« Quelque chose/ d’inconnu/ chaque jour/ dans le même visage » : cette phrase de Giacometti, qu’elle avait choisie comme exergue pour le numéro 2 d’une revue, en 1990, Desbiolles la cite à la fin de son livre, et ajoute :
Le même souci, déjà. Oui, bien sûr, le même. Rien n’a changé, vraiment ? rien n’est arrivé ? Ou peut-être une chose importante pour moi : je peux toucher du doigt que depuis tout ce temps, je n’ai pas renoncé.
[1] Je donne deux des trois photos d’une des promenades dans la neige. On les trouve à la page 59 du livre. Ce sont des clichés de Lucie Pagès.