Marc Perrin | Avoir lieu – matériaux - 9
Marc Perrin a lu ce texte lors de la quatrième édition de la Nuit remue. Vous l’entendrez lire ici.
Ils disent : la vie à venir ne nous intéresse pas. Le présent est notre seul lieu. Ils disent qu’ils ont besoin d’espaces pour vivre. Ils disent : nous avons besoin d’espaces pour que notre présent puisse avoir lieu. Ils disent : nous cherchons un lieu mouvant : nous cherchons un lieu toujours en mouvement : un lieu : comme sans cesse hors de lui-même : un lieu comme en colère et en joie : en même temps : un lieu libre et nourri d’une colère qui rejoint la joie. Ils disent : nous sommes en marche dans ce lieu. Ils disent qu’ils marchent dans ce qu’ils deviennent. Ils disent qu’ils marchent dans ce qu’ils ne cessent de devenir. Ils disent : nous vivons une joie mouvante par laquelle nous sentons ce que les corps peuvent donner quand ils sont libres. Ils disent : nous vivons une joie mouvante par laquelle nous marchons hors de ce qui nous empêchait d’être. Ils vivent une joie profane. Ils disent : nous vivons une joie profane en vivant dans ce lieu : hors de tout lieu. Ils vivent : une joie concrète. Une joie concrète et matérielle : très simplement : quand ils ont un lieu pour vivre : seulement : quand ils ont un lieu pour vivre : et qu’ils peuvent marcher : librement : seulement quand ils peuvent. Ils disent : nous connaissons la joie lorsque nos corps sont libres de se déplacer : de lieu en lieu : partout : et : quand ils ne reconnaissent rien. Ils disent : nous vivons la joie la plus intense qui soit quand nos corps ne reconnaissent plus rien.
Ils vivent les lieux comme des espaces ouverts. Ils vivent avec les lieux comme ils vivent avec leurs corps. Ils vivent avec les corps ouverts. Ils vivent à chaque instant du présent : ce qu’ils nomment : l’origine ouverte. Ils disent : c’est l’origine où tout commence à chaque instant : l’origine où tout commence : sans cesse. Ils disent : c’est le temps des corps : ouverts : le temps des corps : libres. C’est l’origine des corps libres : à chaque instant.
Ils disent : l’attention que nous portons à ce qui a lieu exige de nous que nous déployons l’attention en même temps qu’une action. Ils disent : l’étendue du silence qui a lieu exige de nous que nous déployons une parole et des actes : en même temps. Ils disent que la puissance de parole associée à la réalité des actes inscrit dans le réel ce qui maintient leurs corps et les lieux où ils vivent : ouverts. Ils disent que la puissance de parole associée à la réalité des actes rend disponibles leurs corps et les lieux où ils vivent à ce qu’ils nomment : l’origine ouverte : l’origine où tout commence à chaque instant : l’origine où tout commence sans cesse. Ils disent : l’origine ouverte nous donne accès à l’événement. Quand bien même nous ignorons tout de l’événement. Quand bien même nous ignorons ce qu’est l’événement. Ils disent : la puissance de parole associée à la réalité des actes nous donne accès à l’événement : pendant qu’il a lieu : c’est-à-dire : à chaque instant de tous les lieux : depuis chaque instant de tous les corps parcourant librement tous les lieux.
Ils disent qu’ils font le récit de l’histoire. Ils disent qu’ils vivent l’histoire de l’événement. Ils disent qu’ils vivent dans l’histoire. Ils disent : le récit de l’histoire passe par la multitude de nos récits. Le récit de l’histoire passe par la différence de nos récits. Le récit de l’histoire passe par la division dans nos récits. Le récit de l’histoire passe par la différence + la multitude + la division.
Ils se réunissent. Ils se divisent. Ils disent : nous sommes ce qui réunit et ce qui divise. Ils disent : la différence de nos récits est notre seul bien commun. Ils disent : la différence de vérité de nos mémoires crues communes est notre seul bien commun. Ils cherchent ce qui leur est commun. Ils cherchent ce qui les divise. Ils cherchent et ils découvrent à quel point leurs mémoires crues communes révèlent leurs divisions. Ils disent qu’ils ne découvrent rien mise à part que la mort, seule, est leur seul véritable bien commun c’est dire s’ils ne découvrent rien. Ils disent tout nous sépare et c’est par là que nous allons. Ils éclatent de rire.
AVOIR LIEU est le titre d’ensemble d’un projet en cours, dont un premier livre paraîtra en novembre 2010 aux éditions du Dernier Télégramme. On peut trouver d’autres matériaux du projet ici.
Marc Perrin vit actuellement à Nantes. Il a publié Vers un chant neuf avec dessins de Marie Bouts et pliage/façonnage de Frédéric Laé. Marc Perrin est un collaborateur régulier à Du nerf, dont remue a salué la naissance ici, ainsi qu’à LGO, Dixit, Ouste et Gare Maritime. Il est l’initiateur de Ce qui secret, et on le trouve aussi ici.