Marine d’Avel | Le point de vue d’un personnage

Il faut d’abord s’arc-bouter, se désencombrer. Laisser advenir… Ce qui est sur le tableau, ce qui se passe entre le tableau et ceux qui le regardent. Oublier… et absorber. S’absorber. Temps incolore de l’écoute,
           temps buvard…


Temps qui transforme le spectateur en plaque sensible où s’imprime la couleur des émotions.


Rouge, rouge sur Orphée, rouge sur l’arbre, rouge sur la rive, rouge qui s’émiette sur le pont et à une fenêtre, reflet du rouge qui bouge dans l’eau. Des hommes nagent comme à leur premier déluge.


Au premier plan un chant immobile. Des toges plus que des hommes. Temps absout. Temps absolu. Temps qui précède la mort, qui s’étire dans un silence mat.


Au fond, brûlent le château et ses anges, deux panaches de fumée, temps crénelé de l’histoire, temps qui chevauche nos instants comme les arches d’un pont enjambent chacune de nos journée d’une montagne à un village. D’une aube solitaire à un crépuscule de rencontres et de projets. Sur cette rive-là des silhouettes courbées. Des hommes poussent une clameur silencieuse. Ils ploient, ils ahanent, ils sont sur la jante du quotidien et de l’effort. La barque qu’ils tirent reste immobile, équipage dégréé, pas de traversée en projet pour assembler les muscles et les regards.


Devant maintenant.
Les fleurs de l’hyménée gisent sur l’herbe.
Frêle comme une graminée, Eurydice, surprise, esquisse une annonciation inversée, elle salue le serpent, elle se fiance à la mort avec une grâce juvénile.


Seul bruit du tableau : celui d’un glacis sinueux, qui obombre l’éternité d’un cerne terreux.


De sa main droite, Eurydice pousse l’homme vers le groupe. Elle reste seule avec elle-même. Elle est acquise à son sort, elle acquiesce. Orphée chante un chant sans voix. Ses mains e dansent, et ce sont elles qu’on entend, deux ailes d’oiseau dont le vol seul peut délivrer le temps.


Le pêcheur lui se retourne et entend, le frôlement de la mort, le silence de l’amour, le froissement du temps. Quelque chose tire sur la ligne.

1er février 2012
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