Mille étangs

Françoise Ascal et le peintre Philippe Aubry au sommaire du n° 56 de la revue Travers.


Philippe Marchal a créé la revue Travers en 1979. De nombreux auteurs y ont été publiés. D’abord dans des ensembles thématiques assez vastes (pour y inclure la route, la nuit, le café, le grand large ou la forêt) ou dans des numéros plus particulièrement dédiés àun écrivain (le dernier en date était consacré àRobert Piccamiglio).
De temps àautre, Philippe Marchal (qui construit chaque livraison patiemment, àla maison, choisissant les caractères typographiques, le papier, les couleurs, les formats) met en route un numéro d’une série baptisée Voix multiples. Il demande alors àdeux protagonistes de travailler ensemble sur un projet. Mille étangs, textes de Françoise Ascal et images de Philippe Aubry est né ainsi. Dans une proximité géographique, en Haute-Saône, quelque part entre Fougerolles, Corravillers, Servance et Melisey, au hasard d’un « paysage fait de creux et de bosses » que l’un et l’autre sillonnent en parfaite connivence.
Françoise Ascal - son récit, Un automne sur la colline (éd. Apogée) avait déjàpour décor un lieu proche, la chapelle de Le Corbusier àRonchamps - ancre sa mémoire sur ce plateau qu’elle connait bien.

« Immobile, narines ouvertes, tu absorbes ce qui monte du sol instable, une odeur de croupi délicieuse, musquée, poivrée par quelques tiges de menthe écrasée, une odeur de champignons décomposés, de bois pourrissant, d’insectes en fuite laissant un sillage répulsif sur une feuille de populage large comme ta main, tu sens les arômes secrets de ton corps, tu as conscience de tes cuisses, de tes genoux ouverts pointés vers le ciel, ton dos se courbe un peu plus vers la terre et l’eau, ou vers ton ventre, comme si tu voulais t’enrouler sur toi-même pour mieux rejoindre le premier étage du mystère, celui qu’habitent les vairons aux yeux de groseilles, les têtards infatigables en grappes de raisins noirs, les carpes lascives, les poissons-chats aux moustaches frémissantes... »

Elle se laisse guider par les sensations, touche le paysage dans ce qu’il a de plus indicible, de plus secret, de plus impalpable aussi.

« Deux cent vingt kilomètres carrés de terre ingrate. Huit cent cinquante étangs, peut-être plus. Des hectares de marécages, de fondrières, de landes incultes. Sur la carte, un rectangle oublié des routes impérieuses. »

C’est là, dans ces interstices, loin des « itinéraires fléchés », qu’elle nous donne rendez-vous. Accompagnée par les longues bandes lumineuses, faites d’eau, d’herbes et de branchages hirsutes que Philippe Aubry - délaissant momentanément ses grands formats - a su saisir lors de ses balades au coeur du pays austère.

La revue Travers est éditée à500 exemplaires. Sa parution est volontairement... traversière. Il faut du temps pour concocter et fabriquer un tel objet. C’est le quatrième Voix Multiples conçu par Philippe Marchal. Le précédent, constitué des fac-similés de lettres du poète et ancien facteur Jules Mougin àson ami Claude Billon, lui-même facteur et poète, avait pour titre 1912 : toutes les boîtes aux lettres sont peintes en bleu. Disponible, comme Mille étangs, au 10 rue des jardins - 70220 Fougerolles.

8 mai 2006
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