Neige-t-il à Bagdad ?

La République et Libération entretiennent un voisinage très proche : la rue Béranger, siège du journal, se trouve à deux pas de la grande place elle-même où la statue est, depuis des mois, vêtue d’une sorte de cape de ravaudage qui la dissimule aux regards.

La rue Béranger est étroite et semble plus sombre que d’habitude, en cet après-midi du 4 mars ; certes, les flocons de neige qui commencent à tomber éteignent progressivement la lumière du jour. Mais une sorte de mélancolie indicible s’est comme abattue ici.

Anciennement rue de Vendôme jusqu’en 1864 (seul le passage qui traverse directement jusqu’à la place a conservé ce nom), cette mince artère fut baptisée par décret en hommage au chansonnier Pierre Jean de Béranger (1780-1857). Il est vrai que le Caveau de la République, situé à une centaine de mètres, perpétue à sa manière la tradition.

Pourtant, on n’a pas le cœur à chanter, même si la journaliste italienne Guiliana Sgrena a été libérée ce soir-là, et dans les conditions dramatiques que l’on sait.

Car les portraits qui demeurent encore accrochés, le 5 mars, au centre de la place de la République nous dévisagent quotidiennement, comme sur la « une » de Libération.

Dans ces conditions, que pouvons-nous ? Que peut le journalisme ? Que peut la littérature ?

L’un, dit-on, traite de l’éphémère, de l’écume des choses ; l’autre empoigne à bras le corps des sujets de fond, non chassés au jour le jour par l’actualité dévorante.

Des écrivains ont été aussi journalistes. Les Camus, Sartre, Mauriac... ont ferraillé pour les causes qui leur semblaient mériter analyse et engagement politique.

Tout est peut-être affaire de style ? Impossible en tout cas de ne pas penser, en ce moment, au titre de la pièce de Paul Claudel : L’Otage.

Au bout de la rue Béranger, une plaque scellée depuis le 6 mars 2004 glorifie une figure féministe sur une placette, auparavant anonyme : sans doute un signe, par-delà les siècles, à Florence Aubenas...

Mais la façade de l’immeuble de Libération, au numéro 11, affiche toujours les deux photos trop connues maintenant : alors que l’on désire tant que cette vitrine soit définitivement changée.

Qu’il neige, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il fasse soleil !

Pages tournées :

http://ameliefr.club.fr/Beranger.html
http://www.terresdecrivains.com/article.php3?id_article=370
http://www.paul-claudel.net/actualite/2005.html
http://www.quercy.net/hommes/odegouges.html
http://www.diplomatie.gouv.fr/label_France/France/COM/july/july.html

Dominique Hasselmann

5 mars 2005
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