Nicolas Struve | Cabinet de travail I, II, III
Nicolas Struve est comédien.
Il a eu « le désir et la chance », dit-il, de jouer des textes de Valère Novarina, Lars Noren, Witkievitcz, Blutch, Tchekhov, Büchner, Odon von Horvath ou Claudel.
Parallèlement, depuis une dizaine d’années il est également traducteur du russe.
« Ce sont là, précise-t-il, deux modes de lecture [des textes] où le corps, le fantasme et la fidélité échangent leur place comme au jeu des quatre coins. »
Il a traduit O. Moukhina, A. Tchekhov, N. Erdmann et Maria Knebel : L’Analyse-action de la pièce et du rôle (Actes Sud, 2006).
De Marina Tsvetaeva il a traduit des poèmes dans Banana Split n°27 ainsi que Une aventure, théâtre (Clémence Hiver, 2002) et Correspondance de la Montagne et de la Fin (Clémence Hiver, à paraître).
Les trois textes de Nicolas Struve que nous publions sont extraits de la quatrième partie, « Vol », d’un ensemble inédit de poèmes intitulé Daisy, Woi. DD.
Cabinet de travail I
Le jour est depuis longtemps achevé.
Angle de la cuisine jonchée de jouets, aperçu par l’encadrement de la porte entrebâillée.
Murs verts d’eau de la toute petite salle à manger attenante où je me tiens, « réfugié », écrivain.
Camaïeu de marrons et de bruns plus ou moins blond composé par la table, les sets de coco fin qui reposent sur elle.
Rectangle bleu pâle des Écrits et propos sur l’art de M., un carnet, quelques crayons de couleurs qui serviront peu, une enveloppe de papier kraft contenant une traduction nouvelle de
Sur la grande route d’A. T., une coupe de céramique, aussi, bleue pâle, marron soutenu.
Silence de la maison perdue dans la montagne à l’étage de laquelle on lit, on dort, on... c’est selon ;
entre ce qui est et ce qui pourrait être, entre les mélancolies de l’un, de l’autre et leur vanité.
[Woi : « Infatigablement recueillir ce qui se dissipe ».
Daisy (dont c’est l’heure grave) : « Et comment, Woi ? En cette forêt d’êtres hagards,
Si épaisse que rien ni personne n’y
Apparaît plus, comment ? ».]
Cabinet de travail II
Bouteille de plastique à l’étiquette arrachée, sans identité, à demi pleine d’une eau puisée à la source qui coule à cinquante mètres de la maison ; qu’un effet de perspective fait se détacher sur le mur vert entre les dossiers de deux chaises déjà vieilles.
Posée sur la table, maintenue sur la tranche par le bracelet, la montre s’apprête à marquer 23h30.
Planche en bois souillée presque par l’usure sur laquelle reposent livres, carnets et crayons de couleurs.
Camaïeu toujours de bruns et marrons.
Moustiques de toute petite taille qui assaillent sans cesse
Dont j’apprendrai plus tard par un dermatologue qu’ils n’existaient peut-être
Que dans mon imagination.
[Daisy : « Il est à nouveau tard dans le bois ».
Woi : « Pfuit ! La voilà la vérité, pfuit, pfuit ! ».
Et déjà c’est Daisy l’éclipse
C’est la quête à nouveau des indices. Woi : « La vérité comme remède ? »
(et yeux ouverts grands, grands comme des lacs) :
« Daisy, tu dors ? Sauve-moi ! »]
Cabinet de travail III
Objets à l’abandon. Meubles ayant perdu leur sens ; ici, où la maison n’est habitée que deux mois l’an, tout paraît issu d’un semblant de mémoire photographique et, entre mort et séduction, vivre désormais en totale indépendance des hommes ; avec la force de ce qui n’a plus d’usage, n’est plus échangé, n’est pas transformé en rebut, n’a plus de statut. Force que l’on voudrait capter.
Sur le plateau en fer forgé de la desserte aux pieds obliques, la télévision, le décodeur du signal capté par l’antenne satellitaire, sur l’étagère en dessous le magnétoscope, oublieux des images autrefois, tout à l’heure, diffusées. Tous s’alignent sur le vert du mur nu et aiment et dansent, dansent sans fin avec la table encombrée.
[Daisy : « J’y dors dans un verre, inaperçue. Ah,
mes aventures ! » ]
Photo Nicolas Struve.