Panik | Sophie G. Lucas
On entre dans le tout récent texte Panik de Sophie G. Lucas ( [1]) avec les mots de Jacques Réda.
« Comment j’avance maintenant, c’est par une succession de mille petites morts de justesse évitées. »
Ça donne le ton. Ce qui nous sort de l’ornière, c’est la somme des diverses petites morts qu’on (s’)évite de peu. Elles nous tiennent à flot, nous gardent vigilants.
Mais dès les premières pages, l’auteur nous colle dans ses rythmes lents. On s’y trouve en insecte pris par la glu d’un tue-mouches. Il y a toutes ces habitudes qui poissent, les nôtres, c’est à dire les siennes, à elle. Ce elle qu’on balade de page en page. Ça commence à l’usine. Même que des gens s’y tuent parfois. La vie, l’usine, réclament leur lot de chair. Et, ce qui est fait, pour quelque temps, n’est plus à faire. Alors bon… on se résigne.
Tâches et visages répétés, tout comme le sien qui finit par ne plus revenir.
Chaque matin des œufs miroir sur le comptoir elle tente d’y voir son reflet mais jamais ne s’y retrouve
On attend une catastrophe, quelque chose qui n’arrive pas. Après tout, le titre l’annonce… ça va chauffer, s’affoler. Une chute, une accélération. Un virage qu’on aurait mal pris, mal négocié, n’importe, qui viendrait nous déloger du décor dans lequel on finit par se fondre. Mais rien : sa vie ne fait plus de bruit. Rien qu’un virage de gorge étouffé, un sanglot sourd, à peine. Et toute cette attente, toujours
à la nuit venue au silence tombé traînent les doigts sur le bord de la table vieux bois attendent de se poser sur une main qui ne vient pas une main qui ne se soulève pas une main détachée dans une cuisine jaune
Le une deux un deux de la petite lampe de chevet scande l’alternance de jours et de nuits qui viennent tous pareils, sans trop de joies ni de peines. Des jours égaux, limés.
Sophie G. Lucas nous parle de l’ornière dans laquelle on s’amenuise, mais de laquelle on rechigne à s’extraire aussi.
elle priait bleue qu’on ne la retrouve pas / surtout qu’ils nous oublient
Mais la panique ne vient pas, toujours pas. Elle n’y accède pas dirait-on. Cela pourrait pourtant la sauver. Une sorte de rouille ronge le corps comme une vieille coque. On reste, avec elle, fermé dans cette bouche tue.
Voilà ce qu’on se raconte au fil des textes. Jusqu’à la dernière page où ces mots simples…
à son retour le silence de la maison de ses voisins du petit arbre de la clôture de la bicyclette la vie seconde adossée là et c’est la panique presque
… presque. Ce presque, c’est quoi ? Un clou, un marteau, une gifle, … mal dit tout ça. C’est un je-ne-sais-quoi qui nous met la boussole à l’ouest, qui détraque, affole. C’est la panique presque de lire ça.
Comme si tout ce petit livre, en un clin d’œil, était gobé par ce seul mot. Toutes les pages ravalées par le presque.
En sortant, reviennent les mots de Jacques Réda…. mille petites morts de justesse évitées…
Ou presque. Jamais vraiment non plus.
On y laisse des plumes.
[1] Ed. Le chat qui tousse, 2008