Patrice Pluyette | L’entretien
« En quoi, au-delà du temps qu’elle offre, cette résidence, par les lieux, problématiques, individus qu’elle concernait, a-t-elle résonné dans l’écriture de ce livre ? Qu’y a t-elle produit d’inattendu ? En quoi a-t-elle joué sur l’écriture, et au final, sur le livre lui-même ? Puis, durant ces semaines de « promotion » où la parole de l’auteur.e est sollicitée à propos de ce livre, sur un mode spécifique, y’a t-il des moments où la résidence, tout juste close, s’est « invitée », sinon dans les débats, du moins dans la réflexion sur votre travail ? »")
Quelques mots recueillis suite à la parution de La Vallée des Dix Mille Fumées (Seuil, 2018) (en savoir plus sur ce livre ici) et après la résidence de Patrice Pluyette au Muséum national d’Histoire naturelle (Paris V).
Cette résidence a résonné dans l’écriture de mon livre, déjà, par la problématique, la pertinence, la dialectique entre science et littérature qu’elle déclenchait automatiquement grâce à la rencontre du romancier que je suis avec la science et inversement (j’estime par ailleurs que les relations de voyage des grands pionniers scientifiques de l’exploration s’inscrivent résolument dans la littérature, dans le sens où ils évoquent des éléments de la vie qu’ils voient pour la première fois (animaux, plantes, paysages, terres), à la manière d’un écrivain ou d’un poète qui toujours fait en sorte de découvrir la réalité avec un œil nouveau). Nous pouvons déceler un point commun entre le travail de prélèvement de spécimens, de classification, d’identification propre aux acteurs de l’Histoire naturelle, et celui de l’écrivain, qui cherche les informations, les mots, les classe, les assemble. Il y a eu ensuite la pertinence de certains lieux où cette résidence m’a mené, comme dans le parc des volcans d’Auvergne au cours d’une mission de travail en station biologique, alors même que j’avais des recherches à effectuer sur cette région pour mon roman (heureux hasard).
Mes recherches concernaient plus généralement les voyages d’exploration scientifique, puisque mon personnage est un scientifique-naturaliste amateur qui souhaite comprendre le sens de l’existence en passant au crible de l’étude et de l’observation d’innombrables entrées spatio-temporelles (un peu comme Darwin, Humboldt, de Saussure). En cela nous pouvons dire que des confrontations physiques avec les objets de mon étude ont eu lieu au Muséum quand j’ai pu par exemple admirer à l’Herbier national les planches botaniques originales du voyage d’Humboldt en Amérique. Au cours de cette résidence, je vivais et voyais en vrai ce que je trouvais auparavant seulement dans les livres, au contact d’hommes et de femmes aventuriers qui faisaient le même travail que les scientifiques embarqués sur les voyages de Cook, Bougainville. Je touchais les instruments de travail, je sentais l’ambiance d’alcool et de formol des séances de taxonomie, je m’immergeais dans ce qui constituait la base fantasmatique de mon projet en cours. Et cela donne de l’épaisseur à toute écriture, une charpente, un terrain solide sur quoi bâtir. J’ai appris des mots scientifiques que j’ai pu replacer dans mon texte, réutiliser, transformer, comme on recycle un matériau.
Cette pratique résonne dans l’écriture du livre, même si on ne retrouve pas directement ce que j’ai vécu avec le Muséum. Je me suis approprié la question de l’Histoire naturelle pour en faire une histoire personnelle de voyage en France, à travers un personnage anti-héros qui se prend pour un aventurier mais n’en est pas un, à une époque d’aujourd’hui où toutes les grandes découvertes semblent révolues, et où la solution pour s’émerveiller consiste à redécouvrir ce qui existe déjà. C’est un livre qui parle d’Histoire naturelle et en même temps pas du tout, on est dans la science mais aussi dans la littérature, dans la poésie, dans la vie, dans la condition humaine au sens large, philosophique.
Au cours de ces semaines de promotion qui suivent la sortie du livre, la résidence tout juste close s’invite très fréquemment au cours des discussions, des débats, des articles où on la nomme, où l’on met mon travail d’écrivain en regard de ma résidence (dans le Figaro Magazine, Télérama par exemple). D’abord pour me demander simplement d’en parler, de cette résidence, et de dire en quoi elle consistait, en quoi elle m’a aidé à écrire mon livre, comment je m’y suis pris pour le construire, à quelle fréquence s’organisaient les périodes d’écriture et d’immersion dans la vie des chercheurs du Muséum. Ensuite parfois je me surprends à tenir des discours où l’écriture et la science sont imbriqués l’un dans l’autre, où finalement la résidence est le tronçon central d’un travail de recherche sur le terrain et de créativité qui n’était rien d’autre, déjà, que de l’écriture. Même si, sur place, je n’écrivais pas vraiment, j’interrompais mon livre pour m’ouvrir au monde extérieur, je notais des phrases, des ambiances. L’écriture proprement dite de mon livre ne reprenait qu’une fois rentré chez moi en Bretagne, pendant les trois semaines qui me séparaient de la prochaine session au Muséum dont le rayonnement abolissait les distances. En effet, pendant toute l’année qu’a duré cette résidence, ce lieu parisien m’a porté, rempli, structuré.
Mes recherches concernaient plus généralement les voyages d’exploration scientifique, puisque mon personnage est un scientifique-naturaliste amateur qui souhaite comprendre le sens de l’existence en passant au crible de l’étude et de l’observation d’innombrables entrées spatio-temporelles (un peu comme Darwin, Humboldt, de Saussure). En cela nous pouvons dire que des confrontations physiques avec les objets de mon étude ont eu lieu au Muséum quand j’ai pu par exemple admirer à l’Herbier national les planches botaniques originales du voyage d’Humboldt en Amérique. Au cours de cette résidence, je vivais et voyais en vrai ce que je trouvais auparavant seulement dans les livres, au contact d’hommes et de femmes aventuriers qui faisaient le même travail que les scientifiques embarqués sur les voyages de Cook, Bougainville. Je touchais les instruments de travail, je sentais l’ambiance d’alcool et de formol des séances de taxonomie, je m’immergeais dans ce qui constituait la base fantasmatique de mon projet en cours. Et cela donne de l’épaisseur à toute écriture, une charpente, un terrain solide sur quoi bâtir. J’ai appris des mots scientifiques que j’ai pu replacer dans mon texte, réutiliser, transformer, comme on recycle un matériau.
Cette pratique résonne dans l’écriture du livre, même si on ne retrouve pas directement ce que j’ai vécu avec le Muséum. Je me suis approprié la question de l’Histoire naturelle pour en faire une histoire personnelle de voyage en France, à travers un personnage anti-héros qui se prend pour un aventurier mais n’en est pas un, à une époque d’aujourd’hui où toutes les grandes découvertes semblent révolues, et où la solution pour s’émerveiller consiste à redécouvrir ce qui existe déjà. C’est un livre qui parle d’Histoire naturelle et en même temps pas du tout, on est dans la science mais aussi dans la littérature, dans la poésie, dans la vie, dans la condition humaine au sens large, philosophique.
Au cours de ces semaines de promotion qui suivent la sortie du livre, la résidence tout juste close s’invite très fréquemment au cours des discussions, des débats, des articles où on la nomme, où l’on met mon travail d’écrivain en regard de ma résidence (dans le Figaro Magazine, Télérama par exemple). D’abord pour me demander simplement d’en parler, de cette résidence, et de dire en quoi elle consistait, en quoi elle m’a aidé à écrire mon livre, comment je m’y suis pris pour le construire, à quelle fréquence s’organisaient les périodes d’écriture et d’immersion dans la vie des chercheurs du Muséum. Ensuite parfois je me surprends à tenir des discours où l’écriture et la science sont imbriqués l’un dans l’autre, où finalement la résidence est le tronçon central d’un travail de recherche sur le terrain et de créativité qui n’était rien d’autre, déjà, que de l’écriture. Même si, sur place, je n’écrivais pas vraiment, j’interrompais mon livre pour m’ouvrir au monde extérieur, je notais des phrases, des ambiances. L’écriture proprement dite de mon livre ne reprenait qu’une fois rentré chez moi en Bretagne, pendant les trois semaines qui me séparaient de la prochaine session au Muséum dont le rayonnement abolissait les distances. En effet, pendant toute l’année qu’a duré cette résidence, ce lieu parisien m’a porté, rempli, structuré.
Patrice Pluyette
13 novembre 2018