Patrick Beurard-Valdoye | N’y boire goutte : récital / récit
Patrick Beurard-Valdoye nous fait l’amitié de nous confier un extrait d’un de ses récitals - il préfère ce mot à "lecture à voix haute" et sans doute vous entendrez pourquoi - les deux premières séquences (La DIEUE, La SCANCE) de "N’y boire goutte" qui est le deuxième chapitre du livre quatrième de Mossa.
La DIEUE
les femmes virent une nef, un coucou silenciel survoler le pays trouer l’Himmel si bas si vite qu’on crut bien au crash, elles crurent identifier le Nicolas la rumeur chuchota qu’il réveillerait les enfants à nouveau trondellés salés par le boucher, apportant désormais paquets recueils de poèmes chocolats pas de la gnognotte pour notre belle jeunesse expédiée à la boucherie (certains jeunes des relèves montantes traversant villages bêlaient méritant la verge du père Fouettard, plaçaient deci-delà des écriteaux : CHEMIN DE L’ABATTOIR
sitôt ôtés)
aux étots d’un peu plus tard les fantassins observent les loopings d’un aéronef en surplomb des premières lignes piquant au retour de sa chasse droit sur les tranchées sapes mottes, volant sur eux en rase-mottes, meeting gala gamme d’acrobates acclamés côté coq admirés côté aigle, verbalement, le biplan à l’insigne de cigogne d’un éclair sillonne le champ de trêve par-dessus fange et gleure, puis l’aviateur étendant trois doigts se renvole
les trêves tacites provenaient du ciel généralement, exemple si les alvasses diluviennes emplissaient les boyaux des deux camps que soldats avaient respectivement quittés, hors la tranchée assis en calme sur les parapets se face-à-façant, tenus en respect dans cet entre-deux-voies littéralement, dans l’interfer, les uns s’en remettaient au ciel tantôt aux oiseaux qui, en dépit de ce tintamarre n’avaient nullement l’air de se soucier de ces cent boucans divers, le moins du monde comme l’écrit le Jünger, cos de couleur paisibles au-dessus des traînes de fumées perchés dans les ramures hachées par obus, oviaux en haudiochamp
tantôt à la reine du ciel la vierge à la voie de dieue
d’autres comme l’un de ces acharnés d’avant-guerre au contraire, l’Henri qui paria en chasseur qu’il salverait la tête de la pucelle du bois de l’écu, tête le diable paf, fautel en effet le chef chute (strophé de chasse) total le gros navet tombe décapité au fort du Troyon, par chez vous le Rupt et l’Apparot
on va bientôt se remembrer les attaques, les actions locales en vue de maintenir la combativité comme on dit (T’as vu le riquiqui succès qu’c’est ?) Hazavant ! Hurrah ! Vorwärts !
isolé dans ces faisceaux de balles nocturnes le Genevoix encerclé d’ombres rapides s’empare de l’efficasque d’un cadavre allemand se démet de son képi (l’on reconnaît toujours le Français à son képi rouge puis à ses blessures céphales un casque ? Nous n’aurons pas le temps mon ami de le fabriquer puisque nous aurons tordu le boche avant deux mois)
voici le néo-casqué frantsouze hurlant à son tour Hurrah ! Vorwärts ! magne-toi et marmotte J’ne sais quoi, s’indemne (en tenue de lieutenant devait faire bonne figure), finalement
ce que gémissent les échus : Brancardiers ; à boire
civière et rivière
le grand rattentout
mouillemont la pluie sans désemparer érode du sol sourdent foule de sources, les miennes furent même vouées au culte de l’eau-dieue où les chrétiens mirent leur nez
Fontaine du Curé Tranchée du Curé Lallemant Tranchée de l’Évêché
cette eau qu’aucun n’offre aux bonzés abreuve douzains d’habitants, à bowa glottie de clairs cors, d’un goût sans goût qui pute porosant calcaire, jusqu’à samedi les gruats se lèvent et gouttent une eau schlingant l’essence sur la peau poisseuse, déboires, lundi seulement les autorités furent alertées, défaite de la citerne souterraine de la station-service autoroutière (le pré coulon : soupçons), total personne ne peut boire pendant tout le mois de juillet, monplaisir autour du lavoir, fosse à grève ou redoute au bois saint Nicolas, procès, quoique le Hugny à ce qu’on dit suppute des malveillances, les plus pessimistes devinent que la Générale des Eaux (ou la Lyonnaise ?) cherche à miser main sur le réseau
changez l’eau vous changez l’homme
sans compter l’incertitude qui plane à propos du labo souterrain de déchets radioactifs que l’Herment nous impose mordicus
l’ANDRA qui ment sûrement autant et dénie tout risque prenant les goujons pour des demeurés, vrai (au long de la Voie Sacrée tu lis peint en blanc du côté de l’Aire : NON AU LABO), ils jouent avec [1] le diable
Oh ! s’ils s’en étaient bien joué du Diable quand il se vanta de ne rien craindre pas même Satan, en sorte que de derrière le boqueton du Pas des Bêtes où paissaient ses vaches nos Hans avaient préparé un charivari casseroles chaînes d’arpenteur vérines tout le patrimoine et même des bougies dans les citrouilles qu’il s’était précipité d’un seul geste un seul au village (J’ai vu le diable J’ai vu le diable)
et le diable était resté Diable sa femme ses enfants avec1, du coup les gamines bien polies un beau jour en visite : BONJOUR MADAME DIABLE, aïe aïe aïe
on avait aussi la Bon-Dieue la Chopinet le Petit-vélo la Grand-jaune, tout-à-net, la Chopinet le petit-vélo et le Grand-Meaulne dans tout ça ?
on se remembre ensuite les contrattaques (Bouez Contrattaquez jusqu’au bout et si ne mourez serez fusillés pour vous être repliés Voyez les lieutenants Milan et Herdium qui ne respectèrent l’ordre du Nivelle : Ne pas se rendre ne pas reculer d’un pouce se faire tuer sur place, consigne aux rares survivants leurs hommes d’abattre les deux
céder c’est décéder)
c’est rafalant
voici le Bacqué se remembrant bernatant : voit son lieu-tenant Fournier tirer des coups de revolver sur les casques à pointe [2] n’entend plus rien cherche, son chef gît à terre sans broncher, le tombois, affirme ensuite avoir donné l’ordre de repli aux survivants, quant aux sous-vivants (dont Fournier le mêlé) sont placés en tête-bêche par les boches en une fosse 6x2x0,5, la foraine fin, vingt-et-un squelettes entretenus dans la terre calcaire parmi boutons de capote boucles de ceintures bouts d’étoffe garance et bleue galons brodés de lieutenant, une poignée de balles (les dernières sans doute) cuillère chapelet liseral verre de lunette [3] et six plaques d’identité en alu modèle 1883 dont l’une illisible
grâce à quoi le cogne en retraite Margerard et le chômeur Jean-Louis localisèrent cette fosse à l’aide d’une poêle à frire, comme on dit, grattèrent en compagnie de l’Algrain et des Amis d’Alain-Fournier (sous l’égide de la DRAC) au pied d’une sapinière la terre, sargottèrent à coups de pinceaux et bistouris poursuivirent en vain les recherches, nulle plaque fond de mourainvaux c’est fini les cores
la haie de vieillaines de chapeaux tricolores de parapluies noirs accueille le Mexandeau rendu hommager le Grand-meaulne et ses camarades nécropolés (haie gonne haiemonbois la grandeur d’un peuple quand il croit en lui-même, et perluette), tu entr’entends déjà les actus régionales commentir, oui commentir
et la Bigeart désignant sa carte postale : morte, morte elle est morte elle est morte aussi elle est, morte, elle : morte ne reste que moi, repose la carte-à-vue des ACCUSÉES DE SOMMEDIEUE oui
au tribunal les instituteurs avaient hôlé les fillettes qui troublaient l’ordre laïc puisqu’on ne voulait plus d’elles en classe, ça buta comme ça par ce manuel d’histoire Devinat où la Jeanne d’Arc n’était plus hagiographiée convenablement selon l’abbé Knaf c’était : Vous choisissez la communion solennelle ou le certificat d’études, la grève, le Knaf contre le Prain et la Pérignon (jaunes contre rouges, venait d’arriver de Paris par train un syndicaliste enguenillé, défilé drapeaux tambours et trompettes, tintouin pour éradiquer le Grand-jaune, une fois fait soi-disant repart avec des habits neufs offerts par les ouvriers cotisés, est aussi en train de s’installer une garnison de gendarmes au château
au cas que)
les tremblais on acquitte les 14 semeuses de trouble et le patron Mangin embauche la Varenne pour donner des leçons, de son côté l’évêque décore les foireuses les médaille d’une Jeanne d’Arc d’argent La Vau Hin ! le vicaire : Ne bougeons plus clic
c’est que les troupiers auraient blasiné photographier cette scène retirer leur adjudant Clac ridiculisé par la grand-mère de la Hugny, la conspiratrice fait ses canneuses complices s’asseoir au perron laissant place en bout du banc où Clac s’installe, les femmes se lèvent derechef le Clac dans la vase quatre fers en l’air quel toupet sitôt l’évier pour nettoyer la capote or le Clac flaché plus odieux encore avec ses gars ses têtes-à-claque ensuite
escouade marche
on se prépare à drôle de guerre
à fourniva
on quitte les boulangeries alimentation générale coiffeurs les débits tout à la douce même les filles on va à la boucherie le barda aux épaules (les manquants contraints par la fatigue de s’arrêter en route conduits dès leur arrivée pour sanction), 250 cartouches des grenades
des boîtes de singe : à émasculer de glèbe [4]
fusil : à ébriser
casque : à étrouer
fusées éclairantes : à énoyer
2 masques à gaz : à écoufler
sac d’effets perso : à éventrer à éventer
bidon de 2 litres de piquette : à écrever
fiole à goutte : à ébrécher
musette, poignard : à échirer à éparger
croix : à écailler
champelle pioche : à enterrer
pas de versaine cette fois
toujours la même histoire si pas de soleil pas d’aéros pas de saucisses on trêve on répit sous la mousine, l’arc-en-pluie faisant écran, on joue d’interminables parties de manille abreuvées de bière de la Meuse, à défaut de quoi on est marmité, gazerandé, ou bien mouliné-à-café en journée continue scénario archiconnu, les uns d’un côté les autres de l’autre entre-eux la croupe devenue neutre à force d’être labourée sans désemparer, Contrée-de-Chair-Mange autant que ton revin [5]
venir en avance était du reste nécessaire pour avoir sa place et le Vigneron présent avait été frappé par les coups de gongs tabourés contre une énorme cymbale pour rechigner les canonnades l’on devait y projeter À L’OUEST RIEN DE NOUVEAU, arriva le cinéma parlant une assemblée en général plus dissipée, se levait alors le sacristain qui hurlait : Tasez-vous, z’allez les fare trompail
vient de repartir la bande de bousons noirs qui a tout fichu bas au épichés-bar, les béfoux voulaient même me jeter les enfants et parce que la police traînassait le pied, tel le shérif le Barat-Dupont est en train de recruter sa milice.
La SCANCE
l’idée générale consistait à cubloter l’image : la ville martyre, ses myriades de vétérans de fils de vétérans des petits-fils des vétérans, théorie de cuvilles et de profs d’histoire, la Famosa Urbe se métamorphosa en cité de la paix par ses assises mondiales
allocution fort platinée du Vigneron, accueil repas à l’Étang Bleu comité directeur à l’Étang Bleu séance plénière colloque groupes de travail 1-2-3 repas à l’Étang Bleu travaux en commissions réception à l’Hôtel de Ville repas (à l’Étang Bleu) travaux d’entérinement lancement des campagnes d’actions
l’Appel-du-Prix-Nobel-de-la-Paix-Baker, lequel décède, on le plore, une paire de jours avant le congrès si bien que le Wilkins lance à sa place la cocrie : DEBOUT LES VIVANTS
transports urbains restauration scolaire équipements sportifs, environnement, oui : debout les vivants
les nuisances olfactives sens-tu le Saint-Vanne cette pestilence incommodante qui sévit du centre-ville à la périphérie, touristes pèlerins contraints d’écourter leur séjour et la Prud’homme faisant de son nez : J’ai senti les mauvaises odeurs et j’ai considéré qu’il y avait manifestement un trouble à l’ordre public, l’enquête à vue de nez s’oriente du côté des boues d’épandage en surcharge répandues sans précaution, sans tenir compte de la capacité des cultivateurs à enfouir l’ersatz de purin gratuit la faute à la Compagnie Générale des Eaux (et de l’Ozone sisisi) du SIVOM de la station d’épuration de la Lacto Sérum de la DDASS [6] même, une fois mis au parfum le maire convoquait une cellule de crise prenait des mesures à commencer par une conférence de presse
sans compter les pollutions réitérées et cette triple buse de Nicolas Schneider qui à Regret fourant son nez dans nos eaux en prélève un échantillon, répandu par la suite sur papier anglais 300 g., fixé et quoi encore en un soit disant tableau d’un joli bleu qui appartient à sa mère la Henriot [7]
se remémore en effet : ces nénuphars piquant du nez les mousses grises herbecrochées, l’opalescence effarante de l’eau puante, les truites saumonées ventre en l’air du fait de l’usine à yaourts [8], quand les papillons escamotent à vue de nez les alentours de l’usine à sucre, dès lors ce ne sont qu’orties gîtes à rats herbes à cent goûts assiégeant la ferme et son île
et si les crues, les caves s’emplissent jusqu’aux marches dans la ténèbre amplifiant les poisons du puits rendu méphitique par infiltrations voisines
mes eaux albées ne servent ni aux grenouilles ni aux scançois depuis que les Laden Brandt Rosières Lavis Hoover Candy Vedette firent tomber, en fond de jardin, les lavoirs individuels ces niches boisées alignées en désuétude
et comme rien n’était glorieux ils y établirent la station d’épuration, les écolos en éveil assignèrent le complexe chimique en justice, voilà que les roseaux foisonnent sans regret vitecroissant à la folie : imaginez notre basse-cour à nouveau à l’eau [9] les fillettes recherchant les canards aux soirs d’été et pour les faire remonter tapotant des mains trépignant dans le lit
de l’élu donc la panoplie se complète surtout du ravage de commémorations historiques chaque année présidées par Untel ou Untel cette fois le Dimisse Jünger : Je vous salue Tous ceux qui sont tombés
bon
en revanche l’actuel maire honore tout-à-net intimement lui : le porte-drapeau le clairon au pont Legay (l’artificier qui démina just’à temps de sorte que les alliés franchirent la coupure), défaite de ça certains urgurtent : va-t-il repasser ?
voici le Vigneron et la Genevoix inaugurant le Mur-de-la-Paix, partout sur le boulevard des Éparges des dessins d’enfants de partout célèbrent la paix, vertache
s’haltent pour révister l’un des tableaux
en-dessous d’un arc-en-ciel deux chars dont les canons se prolongent d’une main se facent-à-face, de la foire d’empoigne à la poignée de main, regret sur fond de ciel qu’une colombe blanche troue, c’est qu’on avait enseigné la guerre dans les écoles mais l’histoire de la paix jusqu’ici jamais.
les malancourtés les avocourtés
les béthincourtés les forgés les chattencourtés
les bois-des-caurés les beaumontés
les bois-albains les haudromontés
les louvomontés les côte-du-poivrés
les samogneus les patte-de-l’oie
les cumièrés les brassés
les ravins-des-vignés les souvillés
les côte 304és les mort-hommés
les froideterrés les fleurys
les ravin-de-la-damés les thiaumontés
les douaumontés les caillettés
les vaux-chapitrés les bois-fuminés
les fausse-côtés les vaux
les ravins-du-bazilés les damloupés
les eix les abaucourtés les tavannés
les petit-dépotés les épargés
les hardaumontés les ornés
les bezonvaux les chambuettés
les caurièrés les côte 344és
les chaumés les herbeboisés les couleuvrés
les bois-des-fossés les ravin-du-hellys.
Mossa, éd. Al Dante / Niok, éd. Léo Scheer, 2003.
Patrick Beurard-Valdoye sur remue.net :
– un article de Pierre Drogi, « Tchernoziom : en attendant Gadjo Migrandt de Patrick Beurard-Valdoye »
– une chronique de Jacques Josse sur L’Europe en capsaille.
Un « entretien infini » avec Florence Trocmé sur poezibao.
Vient de paraître (septembre 2014) dans la revue Sur Zone de Poézibao, « De l’existence de bateaux menant leur cargaison insensée », extrait d’un travail en cours.
Patrick Beurard-Valdoye sera l’invité d’une rencontre remue le 6 mars 2015.
[1] Une fois qu’on a mangé du Diable on y retourne.
[2] Vous irez loin Fournier avait écrit sur une carte le Peguy et vous vous souviendrez que c’est moi qui vous l’ai dit.
[3] Verre monté et taillé de manière à soulager la vue et rendre la vision plus distincte.(Bonjour lunettes adieu fillettes).
[4] Les hommes-soupe où sont-ils ?
[5] Je sais Les Forges Je sais je te cède bientôt la place.
[6] Qui n’ont bien sûr pas vu plus loin que leur nez
[7] Si c’est ça l’art contemporain ?
[8] Lacto France.
[9] En dehors des fêtes villageoises sinon vous ne les revoyez plus.