Pedro Kadivar | Trente-troisième nuit d’été
Rien de mal sinon ce sentiment étrange de ne pas vieillir, le même cœur qui bat en mer et en forêt loin de moi dans les environs d’une demeure qui demeure mienne, modestement tendue vers l’infini, en cette nuit de la fin d’un été sombre qui commença avec la disparition de celui dont la semence participa à ma conception une nuit d’été semblable à celle-ci, qui disparut aussi donc une nuit d’été loin d’ici, et ce fut d’abord comme la perte d’un bras ou d’une jambe, un membre de mon corps arraché à mon insu, constatant que soudain je boitais, et maintenant, au bout d’un été sombre, avec la belle consolation d’une nouvelle saison, sachant le vide que sa disparition laissera en moi, mais avec ce sentiment étrange de ne pas vieillir quel que soit le temps qui passe, et mon désir de vieillir pourtant avec d’autres qui se réveillent comme moi chaque matin au bord de la falaise avant de descendre chanter dans la vallée puis remontant le soir dans les hauteurs, je crie cette nuit en marchant au bord de la falaise mon désir de vieillir, et je constate avec joie que c’est le même cri que je poussai autrefois en naissant, un cri de nouveau-né qui veut vivre, qui veut vieillir dès sa naissance. Et voilà qu’il apparaît au fond de la vallée et répond à mon cri de nouveau-né avec son cri de mort, lui qui vient de mourir, pour me dire que je vieillirai comme d’autres. Il crie contre la mélancolie des forêts, pour la joie des fourmis mortes et millénaires, contre la tristesse des solitudes stériles, contre tout ce qui empêche de vieillir et nous fait mourir jeune même centenaire, contre tout ce qui en moi fait obstacle à la vie. Son cri de mort est un cri de naissance en cette fin d’été.
Bonjour, l’automne.