Plaie / Jours
Parution de deux livres d’Antoine Emaz.
Deux livres d’Antoine Emaz sortent simultanément. D’un côté Plaie (Tarabuste) et de l’autre Jours (Éditions En Forêt).
Le premier ensemble, écrit entre le 2 septembre et le 23 novembre 2007, tourne, de façon lancinante, dans la « lenteur des jours », autour de cette Plaie qui, sans être précisément pointée, occupe néanmoins, tant en dehors que dedans, durant deux mois et demi, un grand espace de vie et de mots. Le lexique pour la dire est explicite. Elle s’ouvre, suppure, montre son jus, son sang, ses tissus, ses lèvres.
« c’est comme
être viré de son corps
sans âme qui flotte
ou bat des ailes
dehors
en attendant »
Il faut vivre avec. Et la sentir vivre (et se nourrir) en soi. Ce qu’il fait. En la fixant, en la calmant, en l’amadouant, en lui faisant aussi offrande de poèmes brefs pour que sa présence n’anéantisse pas totalement celle de celui qui (bien malgré lui) la porte.
Mais donner du sens et des mots à moudre à la vie ne peut suffire si, en parallèle, n’existe pas l’énergie, le carburant nécessaire à la bonne marche de la mécanique physique et mentale. Cela Antoine Emaz le sait, et le note, âprement (et parfois douloureusement).
« surtout
pas de pitié
pas cette glu
simples diagnostics
exacts sûrs clairs
c’est tout ce qu’on demande »
Ces constats brefs qu’Emaz exige, on les repère dans l’écriture même du livre, en suivant ce « on » qui, sans jamais s’habituer à la présence vive puis ténue de la plaie, étire ces jours trop longs en attendant que, elle, « la plaie », devienne « ça » et que « ça s’éloigne ».
« bref on le sent on s’en sort
par la petite porte oui
sans être sûr
il n’y a pas encore de quoi rire
mais pour cette fois pas
le glas »
Le deuxième ensemble, intitulé Jours, publié en Allemagne, et en version bilingue, court sur près d’un an et demi. On y retrouve bien sûr cette force très ramassée, ces poèmes assez brefs, ce vocabulaire volontairement usuel, ce « on » omniprésent, ces éléments qui ne cessent de remuer d’une page l’autre et qui plongent tout en même temps dans la mémoire, le lieu, le ciel, le jardin, l’émotion. Des présences reviennent à l’improviste, notamment celle de « la mère », redistribuant les cartes du passé et gravant l’aujourd’hui à sa main.
« il n’intéresse personne
ce passé qui chuinte
dans l’après-midi vide
et pourtant c’est
tenace comme presque
un papier-peint de tête
le jardin s’arrange autour
des cheveux gris
façon tombe
fleurie
tant bien que mal de mots »
Jours est jalonné d’éclats. On s’attarde ainsi longuement, et avec plaisir, sur ces petits blocs de prose qui de temps à autre (et peut-être même de plus en plus) font irruption dans la poésie d’Antoine Emaz. Des fragments compacts, précis, tenus poings fermés, offerts bras tendus, capables d’ouvrir d’autres chemins au livre. À celui-ci et sans doute à ceux à venir.
« de fait pour loger la boîte faut incliner forcer un peu recommencer la manœuvre guider – ça passe en raclant un peu sur le bord droit ça passe – l’homme en bleu se frotte les mains et sort du trou – les autres roulent les cordes et rangent le matériel dans le fourgon
on est quand même un 31 décembre à 18h00
reste le trajet du retour. »
Antoine Emaz : Plaie, avec des encres de Djamel Meskache (éditions Tarabuste) et Jours, traduit en allemand par Anne-Sophie Petit et Rüdiger Fïscher (Editions En Forêt).
Photo : Jean-Marc de Samie.
"La poésie pour quoi faire ?" Rencontre avec Antoine Emaz au Petit Palais le 10 février 2010 de 13 h à 15 h..
Pour plus d’infos, consulter le site de la Mel.