Po&sie, une revue, des rencontres (mercredi 16 février)

On ne parle pas suffisamment de la revue Po&sie, de son travail de fond, à chaque numéro renouvelé.

Il y a bien sûr l’accueil des poésies du monde entier : les poètes chiliens contemporains dans le numéro 131-132 par exemple, les grecs Solomos ou Veltsos dans le n° 128-129, le japonais Nakahara Chüya dans le n° 134, l’italien Luciano Erba en forme d’hommage dans le 133, et bien d’autres encore.

Espace de traduction, et de poésie accueillant les écritures d’aujourd’hui (Noël, Batalla, Noiret, Moses, et bien d’autres), Po&sie est également un espace de pensée et d’engagement, et de regarder par exemple le travail de Claude Mouchard depuis des années, et récemment le dossier du n° 133 « Po&sie et les Rroms ». Mais c’est également tout le travail autour de la poésie, celle de Bachmann (n° 131-13), celle d’Hölderlin (n° 134), ou plus généralement le rapport entre poésie et musique (128-129).

En outre, comment ne pas signaler le travail actuellement mené par Po&sie autour d’Erich Auerbach (dans les numéros 128-129, puis dans le numéro 133).

Et tout ce dont on ne parlera pas ici mais qu’il faut évidemment aller découvrir, à commencer par le sommaire complet du dernier numéro, le 134.





Mais Po&sie se lance dans une nouvelle aventure. Intitulé « Les Entretiens de Po&sie », la revue de Michel Deguy accueillera chaque mois une voix, un auteur, un penseur à la Maison de l’Amérique latine (217, boulevard Saint-Germain, 75007 Paris).

Mercredi 16 février - 18h30

Serge Margel : « Les deux corps de la voix, ou comment la poétique est-elle possible ».

Lundi 28 février - 18h30

La poésie chinoise aujourd’hui : Yu Jian avec Li Jinjia, Sebastian Veg, Claude Mouchard.

Lundi 21 mars - 18h30

Fethi Benslama : « La révolution ».


À l’occasion de ce projet, Michel Deguy, Claude Mouchard et Martin Rueff ont rédigé ce texte de présentation qu’ils ont bien voulu nous confier :

« Nous pensons que « Les Entretiens de Po&sie » peuvent répondre à une demande… qu’il faut d’abord donc cristalliser : montrons qu’il est devenu indispensable de s’entretenir de la poésie. À quoi bon ? demandait le penseur, et il ajoutait « [ À quoi bon…] les hommes de l’art (Dichter) en temps nécessiteux ». Est-il encore temps ? Pouvons-nous continuer à parler de « poètes » en un temps où ils ont fini par acquiescer à la chanson et au film en « disparaissant », et où les plus reconnaissables à un public refusent de porter ce nom ? Pouvons-nous encore distinguer les poètes et la poésie ?

En examinant celle-ci sous l’angle des « poétiques », c’est-à-dire de la pensée de la poésie : les questions que sa persistance et ses transformations posent, non pas seulement à « la société », autrement dit à la « réception culturelle », mais à chacun en son être de parole et de destin, ne sont plus débattues, exposées, et passionnées, rigoureusement, en dehors de la sphère de quelques auteurs… qui souvent déclarent leur méfiance à l’égard des savoirs, de la réflexion critique et théorique, de la philosophie.

Il en est résulté que le débat contemporain où se croisent, se parlent et s’opposent, et sur des scènes publiques, ceux qu’on désigne comme « intellectuels » – dont il n’est pas utile ici d’énumérer les espèces, scientifiques « durs et mous », historiens et sociologues, littéraires et philosophes, politiques et acteurs sociaux, etc. – ne compte pas avec les poètes poéticiens. De Platon à Rimbaud pourtant, de la « gigantomachie » des Idées au « combat spirituel aussi brutal que la bataille d’hommes », de la « querelle des Anciens et des Modernes » à celles de la révolution (politique ou poétique ?), la poésie, parlant du monde aux autres et à elle-même, ne fut-elle pas l’engagée, la promise ou la dot ? – jusqu’à ce que Sartre la dégage ? Son rôle semble n’être bientôt plus que celui d’offrir un « témoignage » parmi d’autres – c’est trop peu. Nous voudrions rouvrir un débat où elle s’élance avec les autres…

S’il est vrai qu’au cœur de tout dialogue, c’est-à-dire en définitive quand les êtres s’affrontent en différends mineurs ou majeurs, il s’agit toujours de décider si ce qu’on rapproche, c’est une seule et même chose, ou bien si « ça n’a rien à voir » ; cette disposition des choses est l’oeuvre d’une poéticité du jugement qui compare. Est-il bon de faire place à cette faculté de la pensée, dans la réflexion de ce destin historique, contentieux, pragmatique, aporétique de tout dialogue humain en tant que lieu de naissance et matrice des vérités ? Poétique contre dialectique, telle pourrait se condenser la formule de la recherche à conduire… à plusieurs, à beaucoup. La puissance critique et la capacité d’engagement de la poésie avec ses poétiques dans son nouveau siècle sont à remettre en examen.

Dans une époque où la relation « écouménique » (Augustin Berque) de la terre à son monde mondialisé ou globalisé donne aux terrestres, que le Romantisme disait soucieux « d’habiter poétiquement » (Hölderlin), leur anxiété, la poésie se rapproche du logos de l’habitation (oïkos) ou éco-logie : poésie-et-écologie serait une des formules, pertinente elle aussi, pour viser au cœur du « combat spirituel » aujourd’hui. »



12 février 2011
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