Pourquoi Joyce admirait-il tant Perec ?

Emprunté aux Notules de Philippe Didion, en date du 12 décembre 2004 :

Se reporter à nos propres liens Perec.

Vie parisienne. Changement de ton au séminaire Perec où c’est Jacques Lederer, ancien condisciple et éternel ami de l’auteur, qui donne aujourd’hui une communication au titre intriguant et prometteur : Pourquoi Joyce admirait-il Perec ?

Tout vient d’un passage du chapitre 3 d’Ulysse (Protée) repérée par Lederer : " Et les livres que vous vouliez écrire avec des lettres pour titres. Avez-vous lu son F ? Oui, mais je préfère Q. Oui, mai W est un chef-d’oeuvre" (ou, en version originale, "W is wonderful" ou, dans la nouvelle traduction, "W est merveilleux"). Faisant malicieusement fi de ce qu’il appelle "les grosses ficelles de la chronologie", Ulysse ayant été composé plus de cinquante ans avant W ou le souvenir d’enfance, Lederer brode sur ce qu’il appelle le premier cas de critique a priori, relève d’autres phrases d’Ulysse qui sonnent comme des échos perecquiens ("L’histoire est un cauchemar dont j’essaie de m’éveiller", "Oui, changeons cet e") avant de conclure, imparable : "Oui, Monsieur Joyce, W est un chef-d’oeuvre, et on ne vous a pas attendu pour le savoir."

Le public, plus accoutumé aux études universitaires plus austères présentées en ces lieux, est conquis. Le côté facétieux de la conférence n’empêche pas une sérieuse discussion sur Perec et la musique, sur le devenir des livres de la bibliothèque de Perec (et notamment de son exemplaire d’Ulysse) et sur la présence de Joyce dans La Vie mode d’emploi.

Dix citations de Joyce étaient prévues dans les contraintes d’écriture, Dominique Bertelli les a étudiées dans un chapitre de sa thèse, mais il y a d’autres choses, comme cette date du 16 juin 1904, celle du Bloomsday, qui est la seule date mentionnée dans les repères historiques à la fin du livre n’apparaissant pas dans le texte.

Perec et Joyce partageaient ce goût, cette sorte de superstition des dates, des signes (le père de Perec fut blessé le 16 juin 1940 et mourut quelques jours plus tard) : le 23 juin 1975, qui sert de cadre temporel à La Vie mode d’emploi est, comme pour Joyce, une date à valeur sentimentale, celle de sa rencontre avec Catherine Binet.
L’assemblée se retrouve ensuite chez Paulette Perec où une conversation avec Jacques Lederer me laisse espérer que nous n’avons peut-être pas fini de nous revoir. En attendant, je passe l’après-midi à la Bilipo.

17 décembre 2004
T T+