Quelque chose se passe, de Stéphanie Chaillou.
Je reçois, des « éditions isabelle sauvage » [1], les quatre premiers titres d’une nouvelle collection, « Présent (im)parfait », dirigée par Alain Rebours.
Ce sont de beaux petits livres, couverture noire aux irisations violettes, fabriqués avec beaucoup de soin et de goût par cet éditeur qui publie déjà depuis 2002, en particulier des livres d’artistes.
La collection « présent (im)parfait » voudrait « défendre des textes difficilement repérables », écrits dans une « langue qui a du corps » et qui « s’essaie ainsi à nommer un présent incongru et parcellaire ».
Des quatre livres que j’ai eus en mains [2] c’est surtout celui de Stéphanie Chaillou, quelque chose se passe, qui m’a retenu.
C’est une belle écriture, simple et forte, qui dit l’étonnement d’être, tel qu’il est vécu d’abord dans l’enfance, qu’une solitude et une sorte de détachement quasi ontologiques marquent pour toujours : plus loin de ce que la narratrice nomme « la vie normale », il y a « la vie à côté (...) sans place, sans nom et sans espace. Cette vie-là dont tu ne te souviens pas mais que tu sais avoir été. »
Le livre propose une série de "Figures" de cette enfance à la fois présente au monde mais, inexplicablement aussi, détachée, et qui modèle à jamais le sentiment d’une différence, d’une étrangeté ; douleur d’y être et de n’y être pas...
Tu traverses un champ. Ta main tient la main de ta sœur. Ta main tient sa main et sous le ciel, au-dessous du bleu et des nuages, vous avancez. Tout est très limité. La terre est sous vos pieds. Le ciel au-dessus de vos têtes. Les pas qu’il vous faut accomplir pour rejoindre votre père et votre mère sont comptés. Ils ne sont que vos pas. Pas autre chose que vos pas dans la terre avec la poussière qui se soulève et retombe sur le cuir de vos chaussures. Avec la poussière qui se soulève et retombe sur vos orteils, entre vos orteils. Il n’y a que cela. Que cette possibilité-là du mouvement de la poussière. (...).