Quinzinzinzili | Régis Messac
Quinzinzinzili renaît grâce à L’Arbre Vengeur.
Bonne nouvelle : Quinzinzinzili, l’introuvable et irremplaçable roman de Régis Messac, publié en 1935 à La Fenêtre Ouverte, est à nouveau disponible. On doit cette réédition à L’Arbre Vengeur, un habitué de ce genre de surprises (on se souvient par exemple - mais il y en a d’autres - de La Grande Vie de Martinet).
Alors, Quinzinzinzili, Kesaco ?
C’est d’abord un petit détour par l’histoire en cours au moment même (1934) où l’auteur s’attelle à son récit. Messac, par le biais de son narrateur, d’emblée, la détourne. Et ce faisant, ne se trompe pas vraiment. Tout au moins, au début. Coupures de journaux ("la république nous appelle : sachons vaincre ou sachons périr") et harangues politiques à l’appui ("haut les coeurs, sus au Boche, et vive la France !"), il passe en un clin d’oeil (et avec cinq ans d’avance) des prémices de la guerre à la guerre elle-même.
« Ce que je peux dire, en gros, c’est qu’il y eut une première période, que j’estime à trois semaines (mais ce fut peut-être trois mois, ou trois jours), où la guerre ressembla presque à une guerre, je veux dire à celle de 1914. »
Celui qui s’exprime ici se nomme Gérard Dumaurier. Il note (réfugié en un asile incertain) "les cauchemars délirants" qui semblent bien être ses souvenirs. Ce qu’il sait, ce qu’il écrit, c’est qu’après la période dite de "guerre normale", il y eut brusquement un orage puissant, un bombardement, une explosion, "un fracas formidable", des éboulements, des roulements de roches. Bref, un vrai cataclysme et, au final, un monde totalement détruit où lui, Dumaurier, jeune précepteur parti en pique-nique estival en Lozère, et la poignée d’enfants qui l’accompagnaient, deviennent, à l’abri dans une grotte, les derniers survivants de l’humanité.
C’est cette survivance et l’adaptation des enfants ensauvagés à ce monde détruit que Régis Messac invente et décortique. Il y ajoute son humour, son ironie, sa lucidité et surtout son pessimisme ravageur.
« Je me suis mis à étudier ces dégénérés comme on étudierait une colonie de fourmis.
Vraiment, ce ne sont plus des hommes, ni des fils d’homme. Pour tâcher de les comprendre, il me faut faire un effort, un effort considérable. Ils se sont fait à mon insu, quoique à mes côtés, tandis que je macérais dans mon découragement, un langage à eux, une explication du monde à eux, des habitudes, un genre de vie à eux. »
Ces enfants ne mettent pas longtemps à découvrir la violence, l’amour, la force, les armes précaires, le culte du chef. Ils se trouvent également un dieu. Le prient, le vénèrent. Et, par un tour de passe-passe, une trouvaille langagière dont ils ont le secret, lui donnent un nom. Ce dieu qui détient les clés de l’inexplicable, c’est Quinzinzinzili !
Le nom, surgi de leur mémoire, a été récupéré au milieu des rebuts de vieilles prières : "Pater Noster / Qui es in coelis". Et c’est par le biais d’une phonétique approximative que ce "qui es in coelis" est devenu Quinzinzinzili.
La suite est dans le livre. Avant de l’écrire, Régis Messac a pu voir (longuement) grands et petits chefs à l’œuvre. L’humanité, autant dire qu’il n’y croit pas. Ou plus. Né en 1893, il a été mobilisé et expédié aux tranchées dès 1914. Il n’en reviendra qu’en 1919. Entre temps, une balle lui aura troué le crâne... Il ressort de là plus pacifiste (et militant) que jamais. Écrit articles, notes, chroniques tout en s’intéressant à la sociologie, la littérature, la science-fiction, le fantastique et les utopies. La préface d’Éric Dussert (l’animateur de L’Alamblog, halte ô combien revigorante) est à ce sujet très documentée et instructive.
De cette guerre qu’il décrit avec un peu d’avance, la faisant totale et dévastatrice à l’extrême, Régis Messac ne reviendra pas. Arrêté au printemps 1943, il sera en effet interné à la prison de Fresnes, puis déporté au Struthof avant d’être emmené en Silésie puis au camp de Gross-Rosen où il disparaît en 1945.
« Moi, moi... Je ne sais plus. Je ne sais plus qui je suis. Ni si je suis.
Oh, et puis...
Qu’est-ce que ça peut me faire ?
M’en fous, Quinzinzinzili !
Quinzinzinzili ! »
Régis Messac : Quinzinzinzili, L’Arbre Vengeur.